« C’est un membre de ma famille » : des fans de Johnny Hallyday pleurent leur idole
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Emmitouflée dans sa longue doudoune noire, Michèle Bigot, bientôt 70 ans, a les yeux rougis derrière ses lunettes à montures dorées. Insomniaque, la retraitée de France Télécom a appris la disparition de « son » Johnny cette nuit, « à 2 h 34 », lorsque Læticia Hallyday l’a annoncée. « Je n’y ai pas cru », raconte cette fan de la première heure, « époque Salut les copains », encore sous le choc.

Ni une ni deux, elle est partie à 4 heures du matin de son domicile de Houilles (Yvelines), a pris trains, RER puis traversé à pied, de nuit, le domaine de Saint-Cloud pour venir se recueillir devant le domaine La Savannah où résidait son idole, à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine). « L’essentiel c’est que Johnny sache que je suis là, souffle-t-elle. Sa mort est pour moi aussi importante que celle de De Gaulle et de Mitterrand, que j’aimais pourtant beaucoup. J’espère qu’il sera enterré au Panthéon, il le mérite, c’est une tour Eiffel. »

« J’ai perdu mon frère, mon ami, mon homme »

« Une tour Eiffel », « un monument national », « notre Elvis Presley », « une page de notre histoire qui se tourne »… Comme Michèle, les fans qui affluaient ce mercredi 6 décembre dans la petite rue menant au domaine de « l’idole des jeunes » n’avaient pas de mots assez forts pour décrire le vide et « le sentiment d’abandon » créé par sa disparition. Certains se frayaient un chemin parmi l’essaim de caméras et de micros pour venir déposer des fleurs ou un mot devant les grilles de la bâtisse, tenue à bonne distance par un important dispositif de sécurité. T-shirt de Johnny Hallyday, drapeau du Brésil autour du cou, José était parmi les premiers arrivé à l’aube, pancarte à la main : « Johnny, sans tes concerts, c’est la fin de notre longue histoire d’amour ensemble. »

« J’ai perdu mon frère, mon ami, mon homme… j’ai le cœur qui saigne, ça me fait un vide », souffle Véronique, 53 ans, la voix brisée, sans parvenir à sécher ses larmes. Lorsque cette ancienne aide à domicile a appris la nouvelle ce matin à la télé, impossible de faire autrement : elle est immédiatement partie de son domicile de Bagnolet pour venir se recueillir ici.

Véronique, fan de Johnny Hallyday depuis l’enfance, à Marnes-la-Coquette le 6 décembre. / MARC CHAUMEIL POUR « LE MONDE »

Johnny, elle l’aime depuis ses 7 ans, lorsqu’elle l’a découvert à la télé en noir et blanc « qui se roulait par terre ». Depuis, il ne l’a « plus quittée ». Elle collectionne tous les objets à son effigie : briquets, stylos, écharpes, chaussettes, calendriers, tasses, poupées, sous-verre, coussins… Johnny, c’était surtout ses concerts et ses soirées entre amis où elle chantait « jusqu’à plus de voix », toute la nuit. Comme beaucoup ici, son plus beau souvenir de concert est celui de ses 50 ans, au Parc des princes, en 1993 : « Mon Dieu ! », s’exclame-t-elle, les yeux qui brillent encore. Elle montre l’album photo de son téléphone portable : que des photos de son idole.

« Que je t’aime »

Un Que je t’aime monte soudain de la petite grappe de fans, qui vient réchauffer les cœurs sous le ciel gris et le froid mordant. Celui qui l’entonne à tue-tête, bientôt rejoint par d’autres, s’appelle Yves Buisson, 59 ans, conducteur d’engins, grimé comme son idole, cheveux peroxydés, des tatouages à son effigie qu’il dégaine fièrement, car Johnny, il l’a « dans la peau ». Cet habitant de l’Eure n’a donc pas hésité à rouler plus d’une heure pour venir déposer des fleurs et un mot. Sa passion a commencé à 16 ans, avec son premier 45 tours. Depuis, il n’a raté aucun concert. Il aurait aimé appeler son fils Johnny, mais sa femme n’a pas voulu.

Yves Buisson, venu de l’Eure pour rendre son hommage à l’artiste disparu, le 6 décembre à Marnes-la-Coquette. / MARC CHAUMEIL POUR « LE MONDE »

« Un souvenir en particulier », Didier, 57 ans, fan depuis l’âge de 11 ans et look de biker, n’arrive pas à en choisir. « J’ai toujours vécu avec lui, il m’a accompagné toute ma vie », dit celui qui a fait 20 km pour venir se recueillir ici. Il se souvient quand, gamin, il l’enregistrait à la radio sur des cassettes, ou lorsque, plus tard, il s’était offert une housse de guitare avec 40 CD dedans, « l’équivalent d’un mois de salaire ». Didier travaillait dans l’automobile, comme ouvrier d’usine, « comme beaucoup de ses fans », tient-il à préciser. Car c’est justement ce qu’il aimait chez Johnny : « C’est une légende qui est toujours restée proche des gens simples, des gens d’en bas, il était comme nous. » Sa chanson préférée ? Je suis né dans la rue. Pour beaucoup d’autres ici, c’est souvent Quelque chose de Tennessee, Que je t’aime, Laura ou Gabrielle qui reviennent.

« Socialement, il restait de la même catégorie que nous, il n’a pas oublié d’où il venait, il avait le cœur sur la main », estime aussi Laurence Cher, 47 ans, venue se réchauffer et déjeuner au restaurant La Tête noire, à quelques mètres de La Savannah, sur la place du petit bourg huppé. En ce jour de deuil, on y diffuse toutes les titres du « monstre sacré ». Serrés sur les banquettes, les fans communient, fredonnent en s’échangeant leurs souvenirs de concerts et de tournées, émus, un peu sonnés. « Je n’ai toujours pas réalisé », souffle Laurence Cher. Cette agente territoriale et mère de deux filles s’était promis que le jour où il mourrait, elle n’irait pas au travail. Alors elle a pris sa journée, ses collègues ont compris. « Et je ferai tout pour être à ses obsèques », que nombreux ici espèrent nationales.

Pour Michèle Bigot, « il n’y avait que lui pour réunir les gens comme ça ». / MARC CHAUMEIL POUR « LE MONDE »

Déçue qu’il y ait aujourd’hui « plus de journalistes que de fans » alors « qu’on devrait tous être là », Michèle Bigot, elle, espère que « des cars viendront de toute la France pour lui rendre hommage à ses funérailles ». Lorsque son grand fils l’a appelée à 7 heures ce matin pour lui remonter le moral, elle lui a dit qu’elle voudrait être enterrée sur du Johnny, « sûrement Le Pénitencier ». Car le rockeur aura traversé toute sa vie. « Tous mes malheurs, tous mes bonheurs », dit-elle en évoquant la perte de son mari, mais aussi lorsqu’elle attendait son fils et lui faisait écouter Johnny au même titre que Mozart. Ces derniers jours, Michèle faisait résonner sa voix « à fond » dans sa maison. « Pour communier jusqu’au bout. Car il n’y avait que lui pour réunir les gens comme ça. »

Les fans de Johnny Hallyday lui rendent hommage devant sa maison