Au lendemain de son discours à l’université de Ouagadougou, le 28 novembre, Emmanuel Macron a visité la centrale solaire de Zaktubi, en compagnie du président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kabore. / LUDOVIC MARIN / AFP

Emmanuel Macron casse les codes, selon la presse française. Il est vrai que l’homme est à l’aise dans la communication, il manie bien le verbe et n’est pas le dernier à trouver la bonne répartie. Ajoutons à cela son habileté à jouer de son image de jeune président et il ne manque pas grand-chose pour que nombre d’observateurs de la vie politique française deviennent des groupies.

La tournée africaine d’Emmanuel Macron a été l’occasion de vérifier à quel point la perception l’emporte sur la réalité. La grande majorité des articles ont rendu compte d’un président sans tabou, bousculant les habitudes et déterminé à ne pas faire comme ses prédécesseurs. Pourtant cette tournée avait bien des similitudes avec celles de ses deux derniers prédécesseurs qui, comme lui, avaient fait une tournée africaine en début de mandat pour prononcer un discours sur la politique africaine de la France.

La fin de la Françafrique... Ah bon?

Oui mais là, me direz-vous, Emmanuel Macron innove car il a déclaré qu’il n’y avait plus de politique africaine. C’est effectivement ce qu’il a dit. Cette phrase a provoqué une hallucination collective puisque de nombreux éditorialistes français, dont Anne Sinclair dans Le Journal du Dimanche, ont cru entendre que le président Macron proclamait la fin de la Françafrique. Ah bon ?

J’ai lu et relu le discours, visionné et revisionné la séquence des questions-réponses avec les étudiants burkinabé et je n’ai rien trouvé de tel. Emmanuel Macron a dit : « il n’y a plus de politique africaine ». En français cela signifie qu’il n’y a plus de politique spécifique sur l’Afrique. Faire un raccourci vers la Françafrique, c’est un peu rapide non ? Au moins François Hollande en 2012 à Dakar avait été plus explicite. Il avait déclaré : « Le temps de ce qu’on appelait autrefois « la Françafrique » est révolu » et précisé quelle conséquence concrète cela allait avoir : « les émissaires, les intermédiaires, les officines trouvent désormais porte close à la Présidence de la République française comme dans tous les Ministères. »

Discours de Macron au Burkina Faso : la rupture dans la continuité
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Pour M. Macron, le message semble plus subliminal car à aucun moment il ne définit la Françafrique ni en proclame la fin. Il précise toutefois ce qui va succéder à la politique africaine : « Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face ». Comprenne qui pourra ! Pourquoi n’y aurait-il plus de politique africaine c’est-à-dire adaptée à l’Afrique tenant compte des spécificités de chacun des pays et des enjeux pour défendre et promouvoir les intérêts de la France ? N’est-ce pas le cœur même de la mission de la diplomatie que de mettre en œuvre des politiques spécifiques à chaque territoire ?

Macron sans tabou ?

Emmanuel Macron est, selon lui-même, un président qui vient avec un regard neuf sur l’Afrique et il l’a dit à Ouagadougou : « Vous ne lirez jamais chez moi des leçons pour l’autre ». François Hollande avait la même intention puisqu’il déclarait à Dakar : « Je ne suis pas venu ici, à Dakar pour montrer un exemple, pour imposer un modèle, ni pour délivrer une leçon ». M. Macron serait un président sans tabou et parlerait de manière décomplexée de l’histoire coloniale dont il reconnaît « les crimes » mais aussi les « grandes choses et les histoires heureuses ». Un peu sur la voie ouverte par Nicolas Sarkozy qui, dès 2007 à Dakar, disait que « la colonisation était une faute (…) pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation avait transformé l’homme africain et l’homme européen. »

Massacre de Thiaroye en 1944 : « C’est un crime de masse prémédité »
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François Hollande, lui, avait parlé de « la part d’ombre de notre histoire » et rappelé « la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient pourtant battus pour la France ». M. Macron considère que c’est « en Afrique que se jouera une partie du basculement du monde ». François Hollande déclarait cinq ans plus tôt : « aucun enjeu planétaire ne pourra se faire sans l’Afrique ».

Sur l’aide au développement le constat du nouveau président français est sans concession : « Parfois, notre aide publique au développement ne répond pas aux besoins. Elle fait plaisir à des gouvernements français ou africains ». François Hollande invitait, en 2012, à en terminer avec « ces relations d’Etats à Etats qui ignorent les peuples et la société », recommandant un nouveau partenariat franco-africain associant « les ONG, les collectivités locales et aussi tous ceux qui entreprennent, veulent participer avec les sociétés civiles à ce que nous avons à faire ensemble ». La méthode de M. Macron est de mettre « ensemble autour de la table, de manière directe, avec les étudiants, avec les ONG, avec les associations, avec les entreprises »

Pour ce qui concerne les étudiants, François Hollande disait à Dakar « c’est ici que leur formation doit être faite » quand Emmanuel Macron a dit « je veux qu’il (l’étudiant burkinabè) puisse mener toutes ses études au Burkina Faso ».

Joyeux chahut de classe d’école

S’agissant de la séance de questions-réponses avec les étudiants burkinabè, ce fut un joyeux moment de chahut durant lequel le professeur Macron tint, tant bien que mal, une classe dissipée. Il y eut des questions saugrenues qui concernaient en fait le président burkinabè (sur les pannes de climatisation à l’université et sur le Plan National de Développement économique et social). A la décharge de ceux qui posèrent ces questions, ils avaient entendu le professeur Macron faire un diagnostic de l’Afrique et énumérer les défis à relever pendant plus d’une heure et demie, si bien qu’ils ont pu penser un instant que dans son omniscience, il avait les réponses aux défis burkinabè…

Il y eut une question sur le franc CFA. Comme François Hollande, Emmanuel Macron vanta la stabilité monétaire induite par le franc CFA. Il y ajouta qu’il était prêt à discuter du périmètre, du nom, voire du rattachement à l’euro. Il a incontestablement fait preuve de pédagogie et d’humour dans une réponse sans ambages. Le président français était à l’aise, il avait bien préparé son grand oral comme l’avaient annoncé ses conseillers lors d’un briefing de presse le 24 novembre, deux jours avant le début de la tournée. Il parut même grisé par sa performance.

Chacun pensera ce qu’il veut de « l’incident », la blague sur le président burkinabé sorti pour une pause technique au moment de la question sur la climatisation à l’université, sortie que met à profit Emmanuel Macron pour tutoyer son homolgue (« reste ! ») et le taquiner (« il est parti réparer la clim »). Ou encore le fait que le président tutoie les étudiants à la fin de la séance de questions. D’après Cécile Amar, l’auteur du livre La fabrique du Président (Fayard, 2017), Emmanuel Macron a le tutoiement facile. Il a tutoyé Mohammed VI lors de l’inauguration du musée du Louvre à Abou Dhabi début novembre. Certes. Mais il faut croire que le tutoiement est facile quand c’est lui qui en a l’initiative car en mai 2016, après avoir été apostrophé par des salariés à Valenciennes, il avait déclaré : « on ne tutoie pas un ministre. »

Emmanuel Macron a délivré un long discours sur l’Afrique (1 heure 40 contre 50 minutes pour Nicolas Sarkozy en 2007 et 37 minutes pour François Hollande en 2012) en présence de son homologue burkinabé resté silencieux pendant tout l’exercice. Est-ce le signe d’une vision partagée ? Le président Ghanéen Nana Akufo Addo a été le seul à faire part de son point de vue lors d’un point presse avec le président français. Parmi les propos de M. Nana Akufo Addo, une phrase a raisonné comme une réponse au discours de M. Macron au Burkina : « nous (Africains) devons changer notre mentalité de dépendance, cette mentalité de « ce que peut faire la France pour nous. »

Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.