L’arrivée des suspects au tribunal de La Valette, mercredi 6 décembre. / MATTHEW MIRABELLI / AFP

L’enquête sur l’assassinat de la journaliste anticorruption maltaise Daphne Caruana Galizia a fait ses premiers progrès. Mardi 5 décembre, trois Maltais connus pour leur proximité avec le milieu et déjà mis en cause dans le passé pour des affaires de braquage, règlements de comptes et possession d’armes à feu, ont été mis en examen par la justice locale. Célébrité locale, la journaliste tenait un blog très populaire dans l’archipel, sur lequel elle révélait régulièrement les multiples affaires de corruption impliquant l’élite politique locale. Elle avait été tuée dans l’explosion de sa voiture, le 16 octobre, un assassinat qui avait choqué dans toute l’Europe.

Les trois hommes – dont deux frères surnommés « Le Chinois » et « La Fève » – ont été arrêtés dans le cadre d’une vaste opération menée par la police et l’armée, lundi matin. En tout, dix personnes avaient été interpellées, mais sept ont été libérées mardi. Lors de leur brève audition mardi soir, les trois hommes ont plaidé non coupables. Selon la presse maltaise, ils ont été identifiés grâce à leur téléphone portable, qui aurait servi à faire détonner la TNT placée dans la voiture. Le mystère sur les motivations des trois hommes, et surtout l’identité d’un éventuel commanditaire, reste entier.

Avec sa plume acerbe et ses révélations, Mme Caruana Galizia s’était fait des ennemis au sein du pouvoir local, à commencer par le premier ministre social-démocrate Joseph Muscat. En s’appuyant sur les « Panama papers » – la fuite de 11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca, en avril 2016 – elle avait notamment affirmé sur son blog que deux de ses proches, son ministre du tourisme et son chef de cabinet, avaient touché des commissions occultes sur des comptes offshore cachés. Malgré le scandale, la police locale n’avait pas ouvert d’enquête et les deux responsables sont toujours en poste. Plus récemment, elle s’en était aussi prise au nouveau chef de l’opposition.

« Exercice de marketing »

Depuis l’assassinat, le pouvoir maltais fait l’objet d’une forte pression internationale pour enquêter sérieusement sur ce crime. La Commission européenne avait notamment demandé à La Valette de mener une enquête « dans les meilleures conditions » et la police maltaise a fait appel à l’assistance technique de plusieurs homologues européennes et américaines. La famille de la blogueuse ne cesse toutefois d’affirmer son manque de confiance dans l’indépendance des enquêteurs et de critiquer la gestion de l’enquête. Lundi, elle s’est notamment plainte dans un communiqué de ne pas avoir été informée des arrestations avant les médias. « Le premier ministre semble considérer l’enquête sur le meurtre de Daphne Caruana Galizia comme un exercice de marketing », a-t-elle critiqué dans un communiqué.

M. Muscat avait organisé une conférence de presse dans l’urgence, lundi matin, pour annoncer les arrestations et une vidéo de l’opération a été abondamment relayée par ses services auprès de la presse nationale et internationale. Depuis le meurtre, l’entourage du gouvernement maltais privilégie la piste d’un règlement de comptes lié au trafic de pétrole libyen, sur lequel la journaliste aurait été en train d’enquêter. Une affirmation écartée par la famille, qui affirme qu’elle ne travaillait pas sur ce sujet. Dans son dernier post de blog, publié quelques minutes avant sa mort, Mme Caruana Galizia avait affirmé qu’à Malte, « il y a des escrocs partout », et que la situation y était « désespérée ».