Le petit robot de livraison de Starship Technologies. / Starship Robot - Simon Birt

Dans un futur proche, Amazon espère livrer ses colis avec des drones, volant 100 mètres au-dessus des villes. Plusieurs start-up caressent un projet bien plus sage : celui d’un robot livreur à roulettes capable de se faufiler à ras du sol de nos villes. Depuis trois ans, les entreprises Marble, Starship et Dispatch mettent au point de petits coffres-forts à roulettes équipés de coûteuses technologies de pilotage autonome. Leur mission : rouler quelques kilomètres en évitant les piétons pour livrer un plat, un colis, ou des médicaments à domicile.

A San Francisco, ces petits robots de livraison, qui sont testés par ces entreprises, n’auront plus l’occasion de poser leurs roulettes sur le macadam du centre-ville. Pas même le robot de la start-up locale Marble. Mardi 5 décembre, le conseil municipal les a chassés après un vote à l’unanimité. L’adjoint au maire Norman Yee a souligné au cours des débats les plaintes de ses administrés, et les risques que posent, selon lui, ces petits robots autonomes. En dépit de leurs caméras et de leurs radars anticollision, ils représenteraient une menace pour les piétons, plus particulièrement les personnes âgées, les personnes malvoyantes et les autres personnes en situation de handicap.

Selon M. Yee, les fabricants on multiplié les promesses – sur le site Internet de Starship, l’entreprise assure que son système est « sûr et sécurisé ». Mais les promesses n’auraient pas été tenues : « Plusieurs accidents impliquant des robots de livraison ont été rapportés par la presse », souligne l’adjoint au maire. M. Yee fait peut-être référence à une collision avec une voiture en Estonie – il ne cite néanmoins aucun cas à San Francisco. Il prévient en outre que ces automates auraient, selon lui, le potentiel de mettre au chômage des contingents de travailleurs américains.

L’adjoint au maire de San Francisco Norman Yee a expliqué ses craintes au conseil municipal. / Capture d'écran

Une interdiction partielle

Les robots livreurs conservent toutefois le droit d’évoluer dans une zone assez large de San Francisco, comprenant 761 pâtés de maison. Mais en pratique, selon les entreprises de robotique, les tests risquent de devenir impossibles. Les robots sont cantonnés aux zones industrielles, leur vitesse est limitée à moins de 5 km/h, soit une diminution de presque 2 km/h par rapport à leur vitesse habituelle. Un employé devra rester en permanence à moins de 10 mètres du robot pour le surveiller. Les entreprises ne pourront tester que trois robots à la fois.

Les débats du conseil municipal traduisent la persistance des résistances de certains citoyens au monde des start-up et des grands groupes mondiaux de la technologie, hébergés dans la Silicon Valley, tout autour de la ville. « Nous avons eu tendance à réguler trop peu et trop tard » a notamment déploré l’adjoint Peskin, pendant les débats qui ont précédé le vote, avant de citer en exemple l’affaire des Bus Google, symbole des tensions entre les ingénieurs et des habitants historiques de San Francisco.

Le robot de livraison de Marble. / Marble

La décision du conseil municipal a été reçue avec ironie par le petit milieu des technologies, notoirement méfiant envers la régulation de leurs activités. En témoigne la déclaration dans le San Francisco Chronicle d’un lobbyiste de l’industrie robotique, Bob Doyle, porte-parole de l’Association pour l’avancée de l’automatisation. « L’ordonnance de San Francisco ressemble à des lois passées aux premières heures des attelages à chevaux, qui exigeaient qu’une personne passe devant la voiture en agitant un drapeau rouge. »

Des villes voisines moins sévères

L’interdiction prononcée par le conseil municipal ne concerne que la ville de San Francisco. A quelques dizaines de kilomètres de là, d’autres municipalités ont autorisé les tests de robots de livraison, à Redwood City, San Carlos, Sunnyvale ou Concord. Ailleurs aux Etats-Unis, d’autres villes leur ont ouvert les bras, dans les Etats de l’Idaho, du Wisconsin, de la Virginie, de la Floride, de l’Ohio. Dans plusieurs pays d’Europe, des villes ont accepté des campagnes de test, comme Londres ou Hambourg.

Le robot de livraison de Dispatch. / Dispatch / Ricky_Flip

La plus grosse entreprise de robotique impliquée dans l’aventure, Starship Technologies, prétend avoir testé ses robots dans 100 villes, sur plus de 100 000 kilomètres, et avoir croisé plus de dix millions de passants. Selon elle, son petit robot aurait livré plus de mille plats à Londres. La jeune pousse anglo-estonienne n’a toutefois pas encore lancé de service commercial à grande échelle.

Face à la multiplication des kilomètres parcourus, la question soulevée par le conseil municipal de San Francisco risque de se poser à nouveau. Les robots, qui seraient près d’un million dans les usines, demeurent rares dans l’espace public. Même si l’image peinte par l’adjoint Yee peut paraître caricaturale, elle interroge : « Dans cinq ans peut-être, nous aurons 5 000 robots qui se baladeront dans les rues, et nous serons forcés de marcher sur la chaussée, avec les voitures. »

Le robot de livraison de Starship croisant un passant. / Starship Robot - Simon Birt

En outre, d’autres problèmes se posent déjà : même équipés d’alarmes et de caméras, ces petits robots, que l’on peut porter à bout de bras, résisteront-ils aux voleurs ? Les citoyens ne seront-ils pas tentés de les dégrader ? Seront-ils respectés, malgré leur image de nuisance à l’emploi ?