L’onde de choc était si forte qu’elle a secoué une organisation souvent pointée du doigt pour son immobilisme. L’Union africaine (UA) a annoncé, mercredi 6 décembre, vouloir rapatrier 20 000 migrants de Libye au cours des six prochaines semaines. Il s’agit de personnes se trouvant dans « des centres identifiés de détention contrôlés par le gouvernement » et « qui ont exprimé le souhait de quitter la Libye », précise un communiqué de la Commission de l’UA.

Le reportage de la chaîne américaine CNN, diffusé le 14 novembre, montrant une vente aux enchères de migrants d’Afrique subsaharienne, avait suscité la colère et l’indignation mondiale. Lors du sommet UA-Union européenne (UE) d’Abidjan, qui s’est tenu les 29 et 30 novembre, le sujet avait monopolisé les débats et une « task force » tripartite (UE, UA et Nations unies) avait été créée pour mettre en œuvre un plan d’évacuation d’urgence.

Conditions de vie inhumaines

« Sur le G5 Sahel, les pays africains se sont organisés pour travailler ensemble, cela peut être fait à une échelle policière et nous pouvons donner l’impulsion de départ », assurait l’Elysée à l’issue du sommet, tout en précisant que la force « Barkhane n’ira pas mener des actions sur le sol libyen » mais qu’elle pourrait désormais procéder « dans certains lieux à des arrestations ».

Si Alioune Tine, le directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, craint une « opération cosmétique » et dénonce « un réveil tardif », la commissaire aux affaires sociales de l’UA promet que « le rapatriement est notre priorité ». Amira Al-Fadil a pu observer les conditions de vie inhumaines dans le centre de détention de Tariq Al-Matar, dans les faubourgs de la capitale Tripoli. Les « détenus » manquaient de nourriture, de couvertures, d’accès aux soins. Certains portaient les cicatrices de sévices physiques. « Ce reportage a porté [la question de la traite des êtres humains] à l’attention du monde entier. Je considère cela comme une opportunité » d’accélérer le processus, remarque-t-elle.

L’UA et ses partenaires se sont fixé un objectif ambitieux, à commencer par l’évacuation de 3 800 migrants africains bloqués en Libye dans les prochains jours. Mais il ne s’agit que d’un « seul camp de détention, alors que le gouvernement libyen en a dénombré 42, et qu’il y en a peut-être plus », a rappelé le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat. L’accès aux différents centres de détention, notamment ceux tenus par les milices, qui sont en dehors de tout contrôle gouvernemental, est une tâche ardue. D’après lui, entre 400 000 et 700 000 migrants africains seraient bloqués dans le pays.

Vingt-quatre pays d’origine concernés

Le programme de retour volontaire de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a déjà permis de ramener près de 15 000 personnes – majoritairement des Nigérians, des Guinéens, des Gambiens et des Maliens – vers vingt-quatre pays d’origine depuis le début de l’année, dont plus de 2 700 entre le 21 novembre et le 5 décembre.

Ce rapatriement est un véritable défi logistique et financier. « Le succès [de cette opération] dépend de la collaboration entre les Etats membres africains, nos partenaires et les autorités libyennes », fait savoir Amira Al-Fadil. Elle dit attendre de l’Europe non seulement un soutien financier mais également un soutien technique. Moussa Faki Mahamat souhaite un « effort financier collectif », y compris du côté africain.

Pour Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (IFRI), une autre question se pose : « Va-t-on vraiment mettre en place des retours volontaires ou s’agira-t-il de retours contraints ? » Les migrants sont arrivés en Libye au prix de nombreux sacrifices, se sont endettés, et peuvent parfois avoir honte de rentrer chez eux après un échec.

Jusqu’à présent, les Etats membres de l’UA se sont montrés « coopératifs », assure-t-on à la Commission. Le Rwanda a proposé d’accueillir sur son sol jusqu’à 30 000 migrants, tandis que le Maroc souhaite apporter une aide logistique en affrétant des avions. Le Niger, qui abrite cinq camps de transit de l’OIM, s’est dit prêt à accueillir temporairement ces migrants.

« Trouver une solution politique »

Moussa Faki Mahamat a appelé les Etats membres de l’UA à prendre leurs responsabilités lors d’une réunion qui s’est tenue dans la capitale éthiopienne, le 6 décembre. ll était « très remonté, très touché par les conditions misérables dans lesquelles ces migrants vivent », confie une source présente dans la salle. Face aux représentants de vingt et un Etats qui ont des ressortissants bloqués en Libye ou partagent une frontière avec ce pays, il a exigé que ces membres fournissent « des services consulaires à leurs ressortissants, afin de les identifier et de leur délivrer des documents de voyage », précise le communiqué de la Commission de l’UA.

Il souhaite également « que les autorités libyennes accordent des autorisations d’atterrissage pour les compagnies aériennes autres que celles de la Libye, afin d’accélérer les retours ». Enfin, les pays voisins doivent fournir des autorisations de survol. Une fois le rapatriement effectué, la question de la réintégration est centrale. « Nous devons faire face à la crise immédiate, mais elle n’est qu’un symptôme, nous devons nous occuper des causes profondes de la migration », rappelle Amira Al-Fadil. Par ailleurs, confie une source maghrébine à la Commission de l’UA, « les pays d’Afrique du Nord ont insisté sur l’importance de résoudre la crise en Libye, de trouver une solution politique ».