« Johnny Hallyday, c’était une part de la France »
Durée : 02:18

Pour la dernière fois, le dernier show, ils sont venus de la France entière. En car, en voiture, en train, en métro, ils ont déboulé par centaines de milliers entre l’Arc de triomphe et la place de la Madeleine, afin de suivre la dépouille de Johnny Halliday dans son ultime voyage. Une foule compacte, tour à tour bruyante et recueillie, hérissée de bannières à l’effigie du défunt, d’écharpes à son nom, de perches à selfies, de ballons colorés, de mains qui se tendent. Un immense cortège qui n’a pas hésité à braver un froid glacial et des heures d’attente, pour rendre hommage à l’idole des jeunes, ceux d’hier et d’aujourd’hui. Pour chacun, Johnny était plus qu’un chanteur et surtout, plus qu’une star. C’était l’ami célèbre et chaleureux qui, du haut de son Olympe dorée, vous accompagne depuis l’adolescence. L’homme qui a su trouver les mots dans lesquels chacun pouvait se retrouver, à un moment ou l’autre de son existence.

Les vrais fans sont souvent arrivés dans la nuit ou même, vendredi soir. Ils sont debout sur leurs sacs à dos, d’où dépassent des vêtements et des thermos. A leurs pieds, entortillées dans les barrières de sécurité, des couvertures de survie forment une drôle de guirlande froissée, comme un pied de nez aux décorations de Noël des grands boulevards. Pour certains, ils ont vu les tribunes se monter dans la nuit, bouchant toute la perspective sur le parvis de l’église. Ceux-là ne verront rien, pas même l’unique écran disposé sur la droite de l’église, où défilent les people derrière leurs lunettes noires.

Qu’importe ! Ils sont là, c’est l’essentiel. « J’aime encore mieux être dehors, avec les gens. On se tient chaud… » lance bravement Danielle, qui a été figurante dans Jean-Philippe, film de Laurent Tuel (2008) sur et avec Johnny. Elle a suivi son héros dans ses tournées, « au moins deux ou trois dates chaque fois, c’est comme ça quand on aime. » Comme Gérard, 67 ans, elle ne trouve pas les mots pour dire son émotion. Gérard sait juste qu’il aimait Johnny, cet « homme formidable » et qu’il l’a suivi partout où il le pouvait. Jusqu’à las Vegas, l’un des grands souvenirs de sa vie. « Je me suis privé pendant un an, j’ai emprunté pour ça, mais je ne l’ai pas regretté. » Veste de cuir et santiags, Gérard s’est aménagé un « Johnnytorium », dans la maison qu’il partage avec sa femme, en région parisienne : une pièce du souvenir où s’entassent disques, photos, objets divers. Il suit la cérémonie religieuse avec émotion. « Je suis catholique, je voulais vraiment être là pour sa dernière messe. »

Johnny ? « L’histoire d’une vie »

Djemila, elle aussi, a suivi Johnny, concert après concert. Avec sa longue écharpe aux couleurs de la tournée 2000, cette Orléanaise au beau visage joue parfois les sosies de Véronique Sanson, « même si, je sais, ça ne se voit pas aujourd’hui ». Elle porte un autographe de la chanteuse tatoué au poignet. Mais ce qu’elle a fait aujourd’hui, passer la nuit debout dans le froid, elle ne le ferait « pour personne d’autre que pour Johnny ». Près d’elle, son grand béret fleuri sur la tête, Ginette laisse deviner son âge. « Vous n’y êtes pas ! J’ai 80 ans, » claironne fièrement cette Parisienne qui piétine place de la Madeleine depuis 7 h 30 du matin. Le froid ? « Pas grave : Johnny, pour moi, c’est l’histoire d’une vie. »

Un peu plus loin, les mains jointes, des larmes dans les yeux, Gisèle se tient immobile, un air tragique sur le visage. « Johnny, c’est ma jeunesse. Le temps où j’affrontais mes parents qui ne comprenaient pas ces déhanchements, ceux des yéyé. Et puis, c’était un homme du peuple, un type généreux. Je suis inconsolable.» Très affligée aussi, Martine a préféré venir seule, sans son mari et sans enfants. Sans son portable non plus, de peur que quelqu’un la dérange. Elle pense à son père qui traitait Johnny de « brigand ». Toute son existence a été bercée par ces chansons qu’elle a découvertes à 10 ans dans un bar. Johnny lui a même fait découvrir Beethoven, avec Poème sur la 7e. « Quand j’ai appris sa mort, j’ai eu l’impression de voir défiler toute ma vie en quelques minutes, y compris cette scène dans le bar dont je ne me souvenais plus. »

Il y a ceux qui pleurent et ceux qui se souviennent des moments de joie. Pascal, 58 ans, trompe l’ennui qui précède le départ du cortège en évoquant son service militaire : « Quand on avait marché pendant des heures comme des cons sous la neige, on mettait quelques francs dans le juke-box et Johnny nous refilait la patate ! » Marlène, de son côté, a quitté La Rochelle samedi à 5 h 30 pour dire adieu à celui qui fut, dit-elle, « le soleil de ma vie, mon repère, celui qui me donnait de la force. » Et puis il y a ceux qui peinent à réaliser. Pamela, 34 ans, une nuit dehors elle aussi, n’a « commencé à comprendre » que quand elle a vu les fleurs arriver. « Heureusement, j’ai emmené mes enfants à un concert l’an passé, sinon ils ne l’auraient pas connu. Mon fils de 15 ans n’a pas voulu venir. Il avait peur de trop pleurer.» Danielle renchérit : « C’est tellement bizarre qu’on soit là aujourd’hui. Mais je crois qu’il n’est pas mort : il était immortel ! »

Transmission en famille

Ces histoires de famille, on les entend partout, au point qu’on n’entend qu’elles. Comme si Johnny, pour beaucoup d’entre eux, c’est aussi ça : une saga, un jeu de mistigri entre les générations. Non seulement les fans ont souvent appris Johnny avec leurs parents, ou transmis à leurs enfants, mais ils sont venus en tribu. Frédéric, 51 ans, a fait le chemin depuis Nantes avec sa famille, ils sont six. Patron d’une entreprise de couverture, il est « inspiré » par celui qui « n’était pas un grand-bourgeois mais un type parti de rien, qui a réussi. »

Quant à Magali, qui arrive « de Disney », comprenez Marne-la-Vallée, elle s’est déplacée avec son père. C’est lui qui a communiqué la flamme à sa fille de 36 ans, kinésithérapeute en Seine et Marne :

« Il nous chantait du Johnny le week end, nous l’écoutions dans la voiture quand on partait en vacances. Ensuite, je l’ai entonné avec mes amis au karaoké et, finalement, j’ai appelé ma fille aînée Laura, pour faire plaisir à mon père. Je ne pensais pas que sa mort me ferait autant de peine.»

Sandrine, 45 ans, n’a pas supporté le chagrin de sa mère. « En sortant de mon travail, dans la vallée de Munster (Alsace), je suis allée la chercher en voiture et nous voilà parties. » Elle n’a pas dormi depuis 24 heures, elle a le nez rouge et les yeux qui pleurent, mais elle ne « regrette pas une minute ». Dieu sait pourtant si elle l’a haï, dans son enfance, ce chanteur qu’on entendait « à longueur de journée à la maison ». Son père l’écoutait en boucle, puis sa mère et finalement, c’est elle qui s’est mise à apprécier. « Mais attention, je n’ai pas tant de CD que ça ! Ce que j’ai aimé, vraiment, ce sont les concerts. Sa présence, son énergie, sa gentillesse. » Au fond, remarque Martine, pensive « il n’y a pas beaucoup de gens qui vous accompagnent comme ça toute votre vie, à part vos parents. » Pour elle, comme pour beaucoup de ceux qui ont pleuré ce jour-là sous le froid soleil de Paris, Johnny, c’était un peu cela : quelqu’un de la famille.

En images : le dernier hommage à Johnny Hallyday