Des militants d’« Artisans de la paix » devant la prison de Réau (Seine-et-Marne), le 7 décembre. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Alors que le soleil fait son apparition en cette fraîche matinée parisienne, jeudi 7 décembre, Zigor Goieaskoetxea se prépare pour une longue marche. Arrivé la veille du village basque d’Arbonne (Pyrénées-Atlantiques), où il habite, il s’apprête à participer aux dernières étapes du tour de France des prisons, débuté à la mi-novembre.

Organisée par des associations de défense des détenus basques, cette initiative vise à interpeller les élus et l’opinion sur « le régime d’exception » de ces prisonniers condamnés pour des délits ou des crimes liés au terrorisme basque. Avec près de 200 militants, M. Goieaskoetxea s’est ainsi rendu jeudi du centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne) jusqu’à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) à pied. Ils devaient ensuite aller à Fresnes (Val-de-Marne) vendredi, avant de rejoindre Paris pour la grande manifestation organisée samedi.

Si M. Goieaskoetxea a tenu à participer à cette marche, c’est pour parler de son histoire. Deux de ses frères, « prisonniers politiques basques », sont « victimes de la politique d’éloignement » menée par l’Espagne et la France. Le premier, Eneko, 50 ans, est incarcéré en Galice après avoir été condamné en mai 2016 par l’Audience nationale, à Madrid, à 92 ans de réclusion pour une tentative d’attentat contre le roi Juan Carlos, en 1997.

Le second, Ibon, de deux ans son aîné, se trouve au centre pénitentiaire d’Arles (Bouches-du-Rhône) pour purger une peine de quatorze ans de prison. Le militant indépendantiste a été reconnu coupable, en juillet 2015, par la cour d’assises spéciale de Paris de faux dans des contrats de location de logements devant servir de planques, recels de vol, détention et transport illégal d’armes de guerre.

« C’est usant »

Les deux frères se trouvent ainsi à près de 700 kilomètres du Pays basque français. Aller leur rendre visite représente un gros budget et de nombreux soucis pour la famille Goieaskoetxea. « Il faut environ 2 000 euros par mois, regrette Zigor. Il faut payer l’essence, le péage, l’hôtel, la restauration… Ce sont les familles qui paient la facture de l’éloignement, nous sommes doublement victimes. » « C’est usant psychologiquement. Des fois, on a fait l’aller-retour pour aller voir Ibon, sans pouvoir le voir finalement », poursuit-il, affirmant que Madrid et Paris cherchent à « isoler les détenus basques » par ces moyens.

Ce dernier demande « seulement que la loi soit respectée » et souhaite qu’Ibon soit transféré dans les centres pénitentiaires de Mont-de-Marsan (Landes) ou de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) pour être plus proche de sa famille. « Mon père, décédé en juin, n’a pas pu aller le voir ces quatre dernières années à cause de ses soucis de santé, poursuit-il, ému. Le déplacement était trop lourd pour lui. Alors que si Ibon avait été à Mont-de-Marsan… C’est une torture faite aux familles qui sont impuissantes. »

A 36 ans aujourd’hui, Joana Haramboure n’a pas vu son père libre depuis ses neuf ans. Frédéric Haramboure, militant d’ETA, a été incarcéré en 1990 et condamné à Paris en 1997 à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 18 ans, pour sa participation à une vingtaine d’attentats commis entre 1978 et 1989.

Alors qu’il est libérable depuis 2008, toutes les demandes de liberté conditionnelle de M. Haramboure, incarcéré à Lannemezan, ont été rejetées. Un « régime d’exception » dénoncé par les associations de défense des détenus basques. « Un acharnement », affirme sa fille. « Je ne sais pas s’il y a une fin dans ce tunnel. C’est fatigant physiquement, et psychologiquement. Je rêve que mes enfants connaissent autre chose que la violence des prisons pour connaître leur grand-père. »

« Incurable »

L’autre problématique soulevée au sujet des prisonniers basques est la situation des détenus gravement malades dont la libération est quasi systématiquement refusée. C’est le cas d’Ibon Fernandez Iradi, connu sous le nom de « Susper », atteint d’une sclérose en plaques. Incarcéré à Lannemezan, l’ancien chef militaire présumé d’ETA a été condamné en 2008 à trente ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre d’un gendarme.

Ses demandes de suspension de peine pour raison médicale ont jusqu’ici toutes été refusées par la justice française. Ce que ne comprend pas sa sœur Ana : « Il présente des lésions définitives aujourd’hui – douleur dans la moitié gauche du corps, grande fatigue, manque de force… –, et les soins qu’il reçoit en prison ne suffisent pas. Ses conditions de détention sont inappropriées. » Et si, en 2016, la Cour de cassation a annulé le rejet de suspension de peine de la cour d’appel de Paris, Ana Fernandez Iradi n’y croit plus : « Le processus judiciaire s’allonge de façon alarmante, et Ibon a une maladie grave incurable. Il devrait être à la maison pour recevoir les soins que sa situation impose… »