Si Internet a révolutionné la communication numérique, les plateformes digitales, comme celle de l’opérateur de téléphonie kényan Safaricom, sont en train de révolutionner l’accès aux services financiers numériques pour tous, même les plus défavorisés. Un téléphone portable et une carte SIM chez un opérateur national donnent aujourd’hui accès à des services financiers qui étaient jusqu’alors réservés à une élite économique adossée aux banques.

Rappelons cette estimation de la Banque mondiale : près de 2 milliards de personnes sont exclues du système bancaire dans les pays en voie de développement. Mais l’essor de ces services financiers pour tous est ralenti par une difficulté majeure : le manque d’« interopérabilité » entre les agents économiques. Un mot compliqué pour dire que les systèmes informatiques des opérateurs ne parlent pas le même langage et sont donc incompatibles. Au Sénégal par exemple, il n’y a pas de connexion possible entre les clients des opérateurs de téléphonie Orange et Tigo. C’est pourquoi beaucoup d’habitants ont un téléphone avec deux cartes SIM ou même deux téléphones.

Pour ajouter au problème, les plateformes se multiplient de manière exponentielle sur tout le continent comme alternative au système bancaire traditionnel : une véritable Babel numérique.

Mais des solutions émergent. La première consiste à recourir à un traducteur de langage informatique, généralement un intermédiaire « qui convertit l’interface d’un produit vers l’autre ». L’expérience tentée en Tanzanie depuis décembre 2014 avec les opérateurs Airtel et Tigo montre des résultats significatifs qui ont permis « une augmentation du montant des opérations et une accélération globale de la croissance des transactions », a noté l’association représentant les opérateurs de réseaux mobiles GSMA dans son rapport sur « les services financiers mobiles destinées aux personnes non bancarisées en 2014 ». Mais la complexité et l’investissement restent encore trop élevés pour constituer un recours à grande échelle.

Code en open source

Une autre solution consiste à créer une sorte de langue « universelle » adaptable. Partant du constat que le coût de la recherche dans les technologies de codes informatiques complexes est un frein pour les entreprises, la Fondation Gates (partenaire du Monde Afrique) a créé le logiciel en libre accès Mojaloop, qui permet à des personnes affiliées à des opérateurs différents d’échanger de l’argent. Lancé en octobre à l’issue de deux ans de travail avec le développeur Ripple, Mojaloop, dérivé du mot swahili moja, qui signifie « un », Mojaloop donne accès à un code informatique à même de faire sauter le verrou de l’interopérabilité. Les développeurs du monde entier peuvent y accéder gratuitement (open source) et l’adapter aux besoins de leur secteur d’activité.

Les applications à la vie courante sont multiples, le code permettant la connexion sans que les parties soient même affiliées à une banque. Paiement de salaires, de factures du quotidien et autres transferts d’argent, tout devient possible puisque le service financier n’est plus cantonné au système bancaire, qui fait tant défaut en Afrique.

Selon la Banque mondiale, la croissance économique des pays africains ne pourra advenir sans un accès accru de l’ensemble de la population, les plus démunis inclus, aux services financiers. Les nouvelles formes de paiement alternatives et inclusives sont donc des leviers essentiels. Une enquête des économistes américains Tavneet Suri et William Jack publiée en décembre 2016 indique que 194 000 familles kényanes ont pu s’extraire de l’extrême pauvreté en utilisant la plateforme Safaricom. Les solutions inventées pour dépasser « l’incommucabilité » des plateformes devraient donc accélérer le processus.