« Aux 53 personnes qui ont regardé “A Christmas Prince” quotidiennement depuis dix-huit jours : qui vous maltraite ? »

C’est un tweet qui se voulait adapté à la veine ironique et narquoise propre au réseau social que le compte officiel américain de Netflix a publié, lundi 11 décembre, à ses 4,22 millions de followers. Il se voulait, sûrement, une façon être un moyen « d’engager » son audience et faire la promo de ce film produit par les studios Netflix.

A première vue, ce tweet a fait parler de lui. Il a été retweeté plus de 100 000 fois, aimé 393 000 fois et suscité plus de 7 000 réponses.

Mais l’interaction n’est pas tout. Si beaucoup ont trouvé la blague marrante, le débat en ligne a vite basculé sur des thèmes que l’opération de promo de Netflix n’avait pas prévu d’aborder, comme le respect de la vie privée et le ton de la blague : est-ce normal qu’une multinationale utilise les données qu’elle stocke sur ses clients pour les moquer pour leurs goûts ? Et si le community manager de ladite multinationale a accès à ses données, qui d’autres parmi les employés l’ont aussi ?

Maladresse et machine learning

Les rédactions du monde entier ont reçu, le 11 décembre, un communiqué de Netflix effectuant un « bilan » de l’année 2017, avec plein de chiffres élogieux pour le service de streaming : 109 millions de clients, 140 millions d’heures de contenu regardées par jour, 1 milliard d’heures par semaine, dans les 190 pays où la plate-forme est disponible. Autant de fleurs jetées à soi-même et facilement reprises dans des articles. Il y avait aussi quelques anecdotes, comme le client « qui a regardé Pirates des Caraïbes tous les jours pendant un an » ou la personne habitant en Grande-Bretagne « qui a regardé Bee Movie 357 fois en 2017 ».

La différence entre ces anecdotes et le tweet est le ton extrêmement ironique, et le fait qu’il a été adressé à la collectivité de Twitter, où l’indignation n’a pas besoin de grand-chose pour tout engloutir sur son passage.

Trevor Timm, directeur de l’ONG Fredom of the Press, et Kim Zetter, journaliste spécialisé sur la cybersécurité, ont été parmi ceux qui ont posé des questions sur la transparence et l’accès aux données des clients en interne chez Netflix :

« Combien d’employés ont accès aux habitudes de visionnage ? Y a-t-il des contrôles pour savoir qui a accès à ces données et ce pour quoi elles peuvent être utilisées ? »

« Est-ce que vous aussi trouvez inquiétant que@netflix utilise les données de visionnage de ses clients pour des blagues ? »

Après avoir essayé de laisser passer l’orage de colère, Netflix a publié un communiqué pour assurer que « l’information représentait des tendances de visionnage globales, et non pas les informations de visionnage personnelles d’individus spécifiquement identifiés ».

Par maladresse, la multinationale a rappelé, à ceux qui auraient tendance à l’oublier, qu’elle regarde et surveille constamment, minutieusement ce que ses clients regardent. Ce qui n’a rien d’illégal puisque c’est clairement écrit dans les conditions générales que chacun approuve – mais ne lit pas forcément – en s’abonnant.

Vos données appartiennent à Netflix parce que vos données sont au cœur du modèle de Netflix : les algorithmes et le machine learning (l’apprentissage automatique) au service de la personnalisation pour non seulement vous proposer ce que vous aurez tendance à aimer, mais pour l’anticiper.

Netflix n’est jamais opaque ou évasive lorsqu’il s’agit de parler de ses méthodes dans l’optique de ce qu’elle propose à ses clients : une viewing experience unique et sans cesse améliorer grâce à vos propres habitudes, de l’ordre d’affichage des films et séries qui apparaissent sur l’écran d’accueil jusqu’aux images générées pour chacun de ces contenus. Tout est fait pour que regardiez mieux, et surtout que vous regardiez plus. Et s’il s’agit de contenus produits par Netflix, c’est encore mieux.