Les grandes manœuvres ont débuté dans le monde HLM que le président de la République souhaite réformer en profondeur. Mardi 12 décembre, tous les acteurs du logement sont conviés pour une « conférence de consensus » organisée dans une certaine précipitation, sur suggestion de Gérard Larcher, président du Sénat, qui voulait ainsi sortir de la crise de l’automne.

Il s’agit de préparer la future loi logement, prévue pour être débattue au Parlement en février 2018. Le texte balaiera large : de la refonte du bail d’un logement privé à la politique de vente des logements sociaux, en passant par la révision du droit au maintien dans les lieux des locataires HLM dont les ressources dépassent les plafonds réglementaires.

Les six groupes de travail devront rendre leurs propositions d’ici à fin janvier. Un délai très court alors qu’une autre échéance cruciale se profile dès le 21 décembre : l’adoption définitive d’une loi de finances pour 2018 qui aura déjà scellé le sort financier des 711 organismes HLM de France.

« J’ai deux problèmes avec les HLM, critiquait Emmanuel Macron, le 6 octobre, devant les entrepreneurs du bâtiment. Il y a trop d’organismes, près de 800, et il faut opérer un regroupement en deux ou trois ans. Ensuite, il n’y a pas de bonne circulation du capital, il y a des organismes qui ont des trésors et ne construisent pas, tandis que d’autres n’ont pas du tout d’argent. »

Le premier ministre, Edouard Philippe, a, depuis, reçu à cinq reprises les représentants des bailleurs sociaux, inquiets de la ponction surprise de 1,5 milliard d’euros dans les aides personnalisées au logement (APL) inscrite dans la loi de finances pour 2018, mais n’a pas obtenu d’accord sur les modalités du prélèvement.

Modèle financier bousculé

Le gouvernement souhaite imposer aux HLM une « réduction de loyer de solidarité » (RLS) pour les locataires bénéficiaires des APL, afin de compenser la baisse de celles-ci. Face à lui, l’unité habituelle des bailleurs sociaux se fissure. La branche privée des HLM, les 242 entreprises sociales de l’habitat (ESH), est prête à accepter la RLS. La branche publique, celle des 264 offices HLM liés aux communes, aux intercommunalités et aux départements, donc soutenue par les élus locaux, ne veut pas en entendre parler. Il faut dire qu’elle serait la plus pénalisée, logeant plus de locataires modestes (donc touchant des APL).

Une telle ponction, réitérée chaque année, bouscule, il est vrai, le modèle financier des HLM à la française.

« Cette mesure n’est pas comme une énième loi d’austérité mais obéit à une vision ultralibérale du logement social qui consiste d’abord à affaiblir les organismes HLM pour les forcer à se regrouper en quatre ou cinq mastodontes, puis les déconnecter des collectivités locales – ou du paritarisme syndical, en ce qui concerne Action logement – pour, à la fin, ouvrir leur capital aux fonds privés », analyse Stéphane Peu, sénateur (PCF) de Seine-Saint-Denis et président de Plaine Commune Habitat, qui gère 18 000 logements.

La concentration a, en réalité, démarré dès 2007, mais à son rythme, voyant disparaître 70 sociétés seulement en dix ans. Action logement, le bon élève, a, en 2016, fusionné tous les collecteurs du 1 % en un seul et regroupé les 72 ESH dont il est actionnaire majoritaire dans une holding, Action logement immobilier, qui détient désormais à elle seule 900 000 logements.

Selon une note interne que Le Monde s’est procurée, une seule filiale HLM par territoire ou région serait à l’avenir maintenue, par exemple deux pour l’Ile-de-France, une en Normandie contre sept aujourd’hui… Seule Immobilière 3F conserverait sa dimension nationale.

A cause de l’application de la réduction de loyer de solidarité, 80 ESH devraient se retrouver en déficit et 40 en quasi-faillite. Leur fédération envisage sans états d’âme de les fondre dans des ensembles : « S’il n’y avait pas des ego de directeurs à ménager, cela fait longtemps que les groupes Arcade [120 200 logements sociaux], Polylogis [80 000] ou Logement français [81 300] auraient fusionné et que l’on pourrait faire circuler le capital entre eux », indique un cadre souhaitant conserver l’anonymat.

De nouvelles sources de financement

D’autres ESH importantes et hors du giron d’Action logement, comme Vilogia (70 000 logements), dans le Nord, ou Batigère (155 000), chercheront aussi à grossir. Le groupe Société nationale immobilière (SNI, 260 000 logements sociaux) est en pleine réorganisation et s’apprête à devenir CDC Habitat, comme l’a annoncé, lundi 11 décembre, le nouveau directeur général de la Caisse des dépôts, Eric Lombard.

Les offices publics songent également à créer des groupements, pour passer de 264 à 150 entités : « Une intercommunalité doit avoir un seul opérateur public avec une taille critique d’au moins 10 000 logements, par exception 5 000 dans les espaces les plus ruraux », estime Alain Cacheux, président de leur fédération.

Pour ne pas mourir, les bailleurs sociaux doivent trouver de nouvelles sources de financement, à commencer par la vente de logements : le gouvernement en souhaitait dans un premier temps 40 000 par an mais pourrait se contenter de 20 000 (contre 8 000 aujourd’hui).

L’ouverture à des fonds d’investissement privés, comme en Allemagne, est une autre piste : la SNI a, par exemple, fait appel à des assureurs et investisseurs institutionnels pour le financement de logements intermédiaires, et a conclu un partenariat avec le bailleur social allemand Vonovia (355 000 logements) qui compte à son capital le fonds d’investissement américain Blackrock (8,3 %) et le fonds de pension souverain norvégien Norges Bank (7,3 %). Enfin, d’autres ressources pourraient provenir de financements participatifs ou d’activités lucratives d’aménagement et de promotion.