Manifestation d’activistes environnementaux  à l’occasion du « One Planet Summit » à Paris,  le 12 décembre. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

A l’occasion du One Planet Summit qui se tient aujourd’hui à Paris, Armelle Le Comte, responsable climat et énergie à Oxfam France, a répondu aux questions des internautes du Monde.fr. Selon elle, « les Etats, à commencer par la France, doivent donner l’impulsion, fixer des cadres ambitieux afin d’inciter les secteurs privé et public à réorienter leurs financements vers la transition bas-carbone ».

Maxime : Les pays émergents sont-ils toujours demandeurs de fonds verts ou bien sont-ils devenus responsables et autosuffisants ?

Armelle Le Comte (Oxfam) : Les pays émergents représentent une grande diversité. Un pays comme l’Inde a encore des centaines de millions d’habitants qui vivent dans une pauvreté extrême, qui n’ont pas accès à l’électricité, par exemple. Les pays émergents comme la Chine sont aussi très attrayants pour les investisseurs privés, notamment pour développer les énergies renouvelables, ce qu’on appelle « l’atténuation ». Les besoins en adaptation, eux, dépendent beaucoup plus des financements publics car ils sont moins rentables.

Il ne faut pas oublier non plus que les pays émergents et les pays en développement plus pauvres investissent eux-mêmes des ressources financières domestiques considérables pour faire face aux impacts du changement. Un pays comme la Tanzanie par exemple mobilise bien plus dans son budget national pour le climat que ce qu’elle reçoit des bailleurs internationaux.

Maxime : Quelle est la contrepartie exigée des pays bénéficiaires, en particulier en termes d’évaluation indépendante des projets financés ?

Armelle Le Comte : Chaque bailleur international a ses propres modalités de mise en œuvre et d’exigence vis-à-vis des pays bénéficiaires qu’il soutient. Ces règles sont strictes et complexes d’un point de vue administratif pour des pays en développement qui disposent souvent de peu de personnel. Certains fonds bilatéraux passent directement d’un Etat à un autre, d’autres transitent par des ONG qui mènent directement des projets sur le terrain.

Ceci étant dit, les bailleurs doivent améliorer la transparence des projets qu’ils soutiennent sur le terrain. L’Agence française de développement, par exemple, ne donne pas toujours toutes les informations, notamment en ce qui concerne les impacts sociaux et environnementaux.

Alinsky : Pensez vous que les propositions du pacte finance-climat sont suffisantes pour lutter contre le changement climatique ?

Armelle Le Comte : Ces propositions ne sont pas nécessairement suffisantes mais sont des outils intéressants pour mobiliser de nouvelles ressources financières en faveur de la lutte contre le changement climatique. Elles démontrent que l’argent est disponible lorsque la puissance publique use de son pouvoir pour le trouver. Concernant la création monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) recourt déjà à la création monétaire afin de juguler la crise financière déclenchée en 2008 : mais elle le fait sans exiger de contrepartie, sans la tracer vers le climat ou quelconque autre politique publique.

En clair : les milliards engagés par la BCE ont surtout profité aux banques commerciales qui ont pu massivement prêter ou spéculer sur les marchés financiers. L’idée de ce pacte est que la BCE prête à taux très bas aux banques publiques européennes (Banque européenne d’investissement mais aussi banques centrales françaises) qui, elles-mêmes, pourraient investir (ou prêter à des banques privées) en s’assurant qu’elles financent bien la lutte contre le changement climatique. Une idée à étudier donc.

Boudou : Les dirigeants des nations « actrices » de ce monde se rendent compte que le climat est une urgence mais il semble que débloquer des fonds est difficile, voire impossible. Comment expliquer ce manque de volonté d’agir ?

Armelle Le Comte : Il est vrai qu’il existe aujourd’hui un vrai décalage entre l’urgence climatique et les actions concrètes des Etats pour lutter contre le changement climatique. A l’exception notable de Donald Trump, la quasi-totalité des chefs d’Etats et de gouvernements reconnaît la réalité du phénomène (inondations, ouragans, sécheresse) et la nécessité d’agir.

Mais l’impulsion politique manque cruellement, il y a une forme d’inertie car il s’agit de repenser notre modèle de développement, la façon dont nous consommons, dont nous vivons. Pourtant, les solutions existent et l’argent aussi, il faut en fait réorienter les ressources financières vers les énergies renouvelables et la transition. Par exemple, de très nombreuses institutions publiques françaises investissent encore dans des projets d’énergie fossile. C’est incompatible avec l’accord de Paris.

Les Etats, à commencer par la France, doivent donner cette impulsion, fixer des cadres ambitieux afin d’inciter les secteurs privé et public à réorienter leurs financements vers la transition bas-carbone.

Laurent : La France est elle en mesure et a-t-elle la volonté de contribuer significativement au financement climat international ?

Armelle Le Comte : La France a un rôle majeur à jouer en tant que pays développé, qui a bénéficié de l’utilisation des énergies fossiles et contribué aussi au changement climatique. A la suite de l’annonce de Donald Trump de se retirer de l’accord de Paris, Emmanuel Macron s’est positionné comme le garant de l’accord de Paris avec son slogan « Make our planet great again ». Cela implique des responsabilités, qui doivent aller au-delà des discours, aussi lyriques soient-ils.

Quant à la volonté d’aider financièrement les pays les plus pauvres, le sommet d’aujourd’hui doit apporter des réponses concrètes : augmenter les financements pour l’adaptation, créer la taxe sur les transactions financières en Europe et s’assurer que les institutions publiques n’investissent plus dans les énergies fossiles. Ce sont sur ces engagements que nous pourrons juger de la volonté d’Emmanuel Macron de lutter contre le changement climatique.