Pas de tergiversations, cette fois. Mercredi 13 décembre, les Etats membres ont adopté, du premier coup, une version remaniée des critères d’identification des perturbateurs endocriniens. Un vote en forme d’aboutissement pour la Commission européenne qui est parvenue, après dix-huit mois d’enlisement, à réunir une majorité qualifiée (55 % des pays représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE).

Le 4 octobre, le Parlement européen avait opposé son veto à une précédente version du texte, contraignant l’exécutif à revoir sa copie, amendée jusqu’alors avec réticence pour répondre aux demandes de certains Etats membres qui la considéraient trop laxiste. Nécessaires à l’application du règlement européen sur les pesticides de 2009, ces critères doivent permettre d’identifier les perturbateurs endocriniens afin de les retirer du marché.

Omniprésents dans les produits de consommation courante et l’environnement, les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques capables d’interagir avec le système hormonal des êtres vivants. Ils sont reliés à de multiples maladies tels que certains cancers, l’infertilité, des malformations génitales ou des troubles de développement du cerveau.

Les eurodéputés rejetaient surtout une dérogation introduite en cours de route par la Commission sous la pression de l’Allemagne, soucieuse de préserver les intérêts de ses grands groupes agrochimiques comme BASF et Bayer. Cette clause d’exception aurait permis d’épargner les pesticides… conçus pour être des perturbateurs endocriniens. C’est-à-dire élaborés pour agir sur le système hormonal de leurs cibles. Les élus l’avaient jugée illégale, car créant des exceptions dans des « éléments essentiels » de la loi, et avaient demandé à la Commission de proposer une nouvelle version « dans les plus brefs délais ».

Campagne de lobbying des industriels

Le retard s’était en effet creusé depuis décembre 2013, date butoir à laquelle les critères auraient dû être finalisés. Alliés dans une campagne de lobbying de grande ampleur, les industriels des secteurs des pesticides et de la chimie étaient parvenus à faire reporter la décision en obtenant qu’une étude d’impact économique soit menée. Saisie par plusieurs Etats membres, Suède en tête, la Cour de justice de l’Union européenne avait condamné la Commission pour son retard fin 2015.

« J’en appelle maintenant au Conseil et au Parlement européen à donner leur feu vert pour garantir une rapide mise en œuvre des critères en 2018 », a déclaré Vytenis Andriukaitis, le commissaire à la santé en charge des dossiers perturbateurs endocriniens et glyphosate – parmi les plus explosifs du moment. Dès son annonce en juin 2016, la toute première version de son texte avait été accueillie par un déluge de critiques, y compris de la part des industriels.

Dorénavant, pour être identifié comme perturbateurs endocriniens, un pesticide devra ainsi répondre à « trois commandements ». Il devra produire un effet négatif et avoir un mode d’action qui altère les fonctions du système hormonal. Mais surtout, il faudra démontrer que cet effet négatif est une conséquence directe de ce mode d’action. « Le niveau de preuve demandé est toujours extrêmement élevé », a déploré François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations Futures, reflétant la déception exprimée mercredi par les ONG et les scientifiques. « Les Etats membres ont échoué à saisir l’opportunité offerte par la décision du Parlement européen d’améliorer de manière considérable les critères afin de réellement protéger la santé humaine », estime, pour sa part, Génon K. Jensen, directrice de la coordination européenne Health and Environment Alliance (HEAL).

Quant à la communauté scientifique compétente, elle n’a eu de cesse, depuis 2016, de demander à modifier en profondeur les critères. Forte de 18 000 membres, la Endocrine Society dénonçait déjà un « niveau de preuve irréaliste » avant même l’introduction de la clause d’exception retoquée au Parlement. Même s’il salue la suppression de cette dernière, Angel Nadal, président du groupe de conseil de la Endocrine Society et professeur de physiologie à l’université Miguel-Hernandez de Elche (Espagne), estime que les critères appliqués aux pesticides et aux biocides « ne sont pas à la hauteur de ce qui serait requis pour protéger de manière efficace la santé publique pour cette génération et celles à venir ».

Législations en souffrance

Depuis le début du processus de décision en 2010, les industriels et certains Etats membres, Allemagne et Royaume-Uni en tête, se sont opposés à l’adoption d’un système de catégories inspirées du classement des cancérigènes : perturbateur endocrinien suspecté, présumé ou connu. Cette gradation permet d’établir des priorités, en termes de mesures de restriction, mais aussi d’information du public.

La rédaction des « lignes directrices » qui expliquent dans le détail comment appliquer les critères d’identification est, elle, déjà terminée. Elaborées sous l’égide des agences européennes de l’alimentation (EFSA) et des produits chimiques (ECHA), elles font l’objet d’une consultation publique jusqu’au 31 janvier.

La Commission européenne devra ensuite s’atteler à d’autres législations en souffrance, car en attente de ces critères dont l’application devrait être étendue à d’autres produits que les pesticides. C’est le cas notamment des cosmétiques, dont le règlement prévoyait une mise à jour sur la question des perturbateurs endocriniens début 2015. Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a d’ailleurs saisi la médiatrice de l’UE contre la Commission, fin novembre, en raison de ce retard à légiférer.

Ces dernières années, plusieurs équipes de chercheurs ont essayé d’estimer le coût, pour la société, des problèmes de santé liés aux produits chimiques. La dernière étude en date, publiée fin novembre dans la revue Environmental Health, a été réalisée par Philippe Grandjean (Harvard T.H. Chan School of Public Health, Etats-Unis) et Martine Bellanger (Ecole des hautes études en santé publique, France). Elle estime les dégâts de la pollution (polluants atmosphériques, perturbateurs endocriniens et substances neurotoxiques) à environ 10 % du PIB mondial.

Comment fonctionnent les perturbateurs endocriniens ?
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