Jamais depuis 1992 un démocrate n’avait été élu sénateur de l’Alabama, Etat du sud des Etats-Unis. / MARVIN GENTRY / REUTERS

Le président états-unien, Donald Trump, a essuyé une défaite politique majeure, mardi 12 décembre, dans l’Etat sudiste de l’Alabama, où le candidat qu’il soutenait a été battu par un démocrate, un exploit dans ce bastion conservateur. Doug Jones a battu l’ancien magistrat ultraconservateur Roy Moore à l’issue d’une âpre campagne qui a captivé l’Amérique et va priver le Parti républicain, au pouvoir d’un précieux siège à la chambre haute du Congrès. Selon des résultats portant sur la totalité des bureaux de vote, Doug Jones a obtenu 49,9 % des voix, contre 48,4 % pour Roy Moore. Eléments d’analyse avec Corentin Sellin, professeur d’histoire spécialiste des Etats-Unis.

Comment analysez-vous ce résultat ? Constitue-t-il une surprise ?

Corentin Sellin. C’est vraiment une surprise majeure à l’échelle de l’histoire politique et électorale des Etats-Unis. Certaines personnes feront une comparaison avec l’élection sénatoriale qui avait eu lieu il y a sept ans au Massachusetts sous Obama et qui avait été perdue par les démocrates, mais c’est ici un événement encore plus marquant, car en Alabama, pas un sénateur démocrate n’avait été élu depuis vingt-cinq ans (1992), et l’Alabama n’a pas voté pour un président démocrate depuis 1976.

C’est donc un séisme politique qui était totalement imprévisible quand Donald Trump a choisi de nommer, il y a dix mois, Jeff Sessions, qui était sénateur de l’Alabama depuis 1997, ministre de la justice. Car Trump n’aurait jamais pu imaginer que ce dernier puisse être remplacé par un démocrate.

Ce résultat est donc le fruit d’erreurs tactiques des républicains, qui ont choisi de soutenir un candidat hautement controversé, Roy Moore, mais aussi d’erreurs du président Trump lui-même, qui a sur la fin de l’élection choisi d’en faire un enjeu national en soutenant éperdument Moore, qui était pourtant accusé de délits sexuels depuis novembre.

En quoi cette défaite électorale signe-t-elle un revers politique majeur pour Trump ?

Pour Trump, c’est un triple désastre. D’une part, il survient dans un Etat qui avait voté massivement pour lui en 2016 – avec 27 points d’avance sur Hillary Clinton – et qui est peuplé d’une de ses bases électorales les plus solides, les Blancs évangéliques (pouvant représenter jusqu’à la moitié de l’électorat en Alabama). Trump a été incapable de faire élire le candidat de son choix, et cela à deux reprises, puisqu’aux primaires, il avait choisi de soutenir un candidat qui avait été sèchement écarté par Roy Moore.

Dans les sondages de sortie des urnes de cette nuit en Alabama, Trump est à peine à 48 % d’opinions favorables, ce qui prouve son impopularité, mais aussi l’essoufflement de sa ligne politique à la fois nationaliste, identitaire et fortement empreinte de religiosité conservatrice.

D’autre part, la défaite de Moore, qui était accusé de détournement de mineures et d’agression sexuelle, dans la vague post-Weinstein du #Metoo, relance les soupçons et les accusations sur Trump lui-même. En effet, le vote contre Moore en Alabama apparaît comme une sanction morale des électeurs, et survient au terme d’une semaine où trois élus nationaux ont démissionné à cause d’accusations d’inconduite sexuelle. Or Trump est accusé lui-même depuis plus d’un an par seize femmes d’agressions et d’inconduite sexuelle. Désormais, après l’Alabama, lui aussi apparaît comme ayant des comptes à rendre – plusieurs sénateurs démocrates l’ont d’ailleurs appelé lundi à démissionner.

Enfin, Trump se retrouve considérablement affaibli par rapport à sa majorité parlementaire au Sénat. A onze mois des élections de mi-mandat de novembre 2018, son impopularité le rend toxique et « radioactif » pour une grande partie des élus républicains, qui voudront être le moins possible associés avec lui ; et sa majorité au Sénat passe à 51-49, ce qui est très faible au vu des contestations déjà existantes, comme autour de l’échec de l’abrogation de l’Obamacare.

Derrière ce camouflet électoral, peut-on voir le début de la fin de Trump ?

Difficile de faire des pronostics, mais ce qui est certain, c’est que se termine à l’intérieur du camp républicain l’intouchabilité de Trump dont le président bénéficiait depuis le début de sa campagne, en 2015, où il avait pris la main sur le parti et semblait intouchable quoi qu’il fasse.

Pour la première fois, il est désavoué au sein même de l’électorat qui l’a porté au pouvoir. Par conséquent, il doit absolument changer son comportement et ajuster sa politique, sinon il va vers un désastre monumental lors des mid terms [élections de mi-mandat] de novembre 2018, qui pourraient redonner la double majorité parlementaire aux démocrates, sachant que nombre d’entre eux ne font pas mystère de leur volonté de lancer une procédure d’impeachement (« destitution ») contre Trump s’ils retrouvaient cette double majorité.