Documentaire sur France Ô à 20 h 55

Le 24 mai 1918, sur le front de l’Argonne, le soldat américain Henry Johnson, outre une citation par le général Gouraud, est décoré pour sa bravoure au feu de la croix de guerre avec palme. L’événement pourrait être anecdotique, les troupes venues des Etats-Unis ayant depuis quelques mois intégré les unités combattant en Europe, mais l’information stupéfie. Car Johnson est noir et la gravure de presse qui illustre son exploit face aux soldats allemands ne manque pas d’être ambiguë.

Ce colosse terrible qui se dresse pour sauver un camarade sous la mitraille est-il un rempart ou une menace ? Pas sûr que, pour les Américains blancs qui ont tout fait pour empêcher l’enrôlement de volontaires noirs dans la croisade contre les empires centraux, le héros en soit un.

Le pauvre bagagiste de la gare d’Albany (Oregon), engagé à 19 ans au nom de la lutte pour l’égalité raciale, peut-il faire figure d’exemple civique ? Pourtant, avec ses camarades du 369e régiment d’infanterie – nouvelle dénomination du 15e bataillon de la Garde nationale de New York, créé à Harlem en 1916 et qui ne regroupe que des Afro-Américains –, il défilera sous les acclamations lors de la parade sur la Ve Avenue, le 17 février 1919.

Eviter le lynchage

Mais pas en France le 14-Juillet de la même année, l’armée des Etats-Unis n’admettant pas d’être représentée par ces Noirs qu’elle n’a pu écarter du conflit ni exclure des zones de combat. L’affaire aurait pu être exemplaire d’une intégration sociale par la fraternité d’armes.

Et de fait, les troupes françaises, pourtant peu enclines à juger les soldats venus des colonies comme des citoyens à parité, ne firent guère de difficultés à accueillir ces Noirs américains venus les secourir. Mais le rêve d’une révision du statut des Noirs à l’occasion de ces exploits guerriers – des troupes venues des Etats-Unis, le 369e RI est celui dont les hommes sont restés le plus longtemps en première ligne, celui qui le premier a atteint les rives du Rhin, celui qui paya le plus lourd impôt du sang avec 725 survivants sur les 2 000 hommes qui le composaient, celui enfin qui fut le plus décoré – ne survécut pas à la paix.

A gauche, le jazzman James Reese, membre du 369e régiment d’infanterie. / PAUL THOMPSON/WAR DEPARTMENT/NATIONAL ARCHIVES

Dans un documentaire d’une grande finesse, qui évoque la difficile transition de l’abolition de l’esclavage à la revendication des droits civiques pour les Noirs sur le demi-siècle qui sépare la fin de la guerre de Sécession à l’entrée des Etats-Unis dans le conflit mondial (1865-1917), François Reinhardt ne simplifie rien. Il oppose à la longue patience d’un William Edward BurghardtDu Bois, sociologue qui milita pour les droits civiques, la vision raciste de Griffith dont le film Naissance d’une nation (1915), réactive les clivages haineux et célèbre les excès du Ku Klux Klan qu’il relance…

Rien d’étonnant alors à ce que les vétérans noirs, de retour au pays, durent se cacher et quitter l’uniforme de leur exploit pour éviter le lynchage par des Blancs terrifiés par le statut que l’Occident leur avait reconnu. 1919 fut un « été rouge » du sang des Noirs sacrifiés pour que rien ne change. Et si les Harlem Hellfighters, aussi nommés Men of Bronze ou Black Rattlers, ont écrit une splendide page de la Grande Guerre, tout fut fait pour l’effacer. La session de rattrapage est d’autant plus impérative.

La Grande Guerre des Harlem Hellfighters, de François Reinhardt (Fr. 2016, 90 min).