Les dirigeants européens regardent un drone après la réunion sur le renforcement de la défense européenne, le premier jour d’un sommet européen, au siège de l’UE, à Bruxelles, le 14 décembre. / EMMANUEL DUNAND / AFP

Trop rares, les occasions pour l’Union européenne de célébrer son unité sont, dès lors, un peu surexploitées. Et tel fut bien le cas, jeudi 14 décembre à Bruxelles, où les dirigeants de l’Union réunis en sommet ont évoqué l’entente « extraordinaire » – d’après Donald Tusk, le président du Conseil – qui leur permet, malgré le Brexit ou le débat houleux sur la migration, de parler d’un moment « historique » : le vrai lancement de l’Europe de la défense.

Soucieuse de faire la preuve de son efficacité et de rassurer une opinion publique qui, selon diverses enquêtes, fait aujourd’hui de la sécurité du continent sa priorité, l’Union entendait mettre en évidence la naissance officielle de la Coopération structurée permanente (CSP – ou Pesco selon l’acronyme anglais) et du Fonds européen de défense.

La première prévoit qu’un certain nombre de pays s’engageront à aller de l’avant et à prendre des engagements contraignants dans le domaine des investissements, des déploiements de troupes, du développement de projets capacitaires, de la planification, etc.

Le second, censé être opérationnel en 2019, prévoit que le budget européen – c’est une première – pourrait soutenir l’industrie de la défense, d’abord par des projets de recherche et de développement, ensuite en contribuant à des cofinancements ou des achats en commun.

Dix-sept initiatives

Ces initiatives, présentées comme des avancées décisives après une vingtaine d’années de tâtonnements, traduisent-elles une véritable marche en avant, alors que l’Europe de la défense – un concept presque usé – semblait piétiner depuis une vingtaine d’années ? Les progrès récents ont, il faut le noter, été surtout dictés par la perspective du Brexit, conjuguée au discours très offensif de l’administration américaine sur la faiblesse de l’engagement de l’Europe pour sa propre défense. Ils ont, par ailleurs, été accélérés sous la pression de la France et de l’Allemagne, dont les deux dirigeants entendaient contrer la vague de pessimisme qui a suivi le vote britannique et la montée du populisme dans plusieurs pays.

La lutte contre les cyberattaques et la création de véhicules blindés d’infanterie figurent également parmi les projets

Il fallait, en tout cas, avancer des projets concrets et une liste de dix-sept initiatives CSP a dès lors été rapidement mise au point. Chacune rassemble plusieurs pays (de trois à six en général), l’un d’entre eux conduisant le projet, les autres y participant ou y jouant le rôle d’« observateurs ». Parmi les priorités avancées, la naissance d’un commandement médical européen, un projet de drones sous-marins, la sécurisation des fréquences radio, la création d’un centre européen de formation pour les missions. La lutte contre les cyberattaques et la création de véhicules blindés d’infanterie figurent également parmi les projets, ainsi que la nécessité d’améliorer la rapidité de déplacement des matériels militaires sur le territoire européen.

Plus question, en tout cas, d’évoquer la naissance d’une armée européenne – le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, fut le dernier à oser la formule – mais bien de convaincre les citoyens que l’Union européenne peut, dans un domaine clé, être « ambitieuse, inclusive et très pragmatique », comme l’affirme M. Tusk.

Participant, mercredi 13 décembre, à une cérémonie en compagnie de deux pionniers de l’Europe de la défense – l’Espagnol Javier Solana et l’Allemand Joschka Fischer –, la Haute représentante Federica Mogherini ne réfutait pas le qualificatif d’« historique » pour l’événement de jeudi, mais insistait sur le fait que « le travail ne fait que commencer ». C’est aussi l’avis de l’OTAN, dont le secrétaire général, Jens Stoltenberg, est devenu un membre régulier des conseils européens mais s’interroge sans doute sur la traduction en actes des discours entendus au cours de ceux-ci.

Quatrième tentative

C’est que, malgré l’enthousiasme généralisé, ceux qui prônent la nécessité d’une défense européenne plus intégrée s’interrogent sur bien des points. Et d’abord sur le mécanisme de la CSP. Censée rassembler un « noyau dur » d’Etats « pionniers » vraiment décidés à progresser, elle réunira finalement vingt-cinq des vingt-sept Etats membres (les vingt-huit moins la Grande-Bretagne). Y compris la Pologne, longtemps dubitative, d’autres pays de l’Est jugeant que leur défense doit être surtout assurée par l’OTAN ou des pays de l’Ouest qui se caractérisent par la faiblesse de leurs dépenses militaires. La « coopération » se limitera-t-elle donc à un projet « dépourvu d’ambition et d’âme politique », comme le soutient Federico Santopinto du Groupe de recherche sur la paix et la sécurité ?

Le risque ne peut, a priori, être écarté. Comme celui que le Fonds de défense, censé contribuer à l’autonomie de la défense européenne et à la limitation des dépenses nationales par une mutualisation, n’assure pas une vraie convergence mais ne serve qu’à soutenir des industries nationales.

Cette tentative de lancement d’un projet de défense commun est, en réalité, la quatrième du genre. Si elle réussit, ce sera peut-être et surtout en raison du contexte international, qui a résolument changé et force les dirigeants à se montrer bien plus volontaristes.