C’était il y a six mois. Dans la nuit du 13 au 14 juin, à Londres, la tour Grenfell s’enflammait dans un spectaculaire incendie, tuant au moins 71 personnes. Le feu s’était propagé à très grande vitesse en raison d’un revêtement isolant très inflammable. De nombreux habitants de la tour de vingt-quatre étages s’étaient retrouvés piégés. Une vague de colère, mais aussi une immense solidarité, s’en était suivie dans ce quartier populaire de la capitale britannique.

Aujourd’hui, l’hiver aidant, les rues sont peu animées dans North Kensington, mais sapins et décorations de Noël témoignent d’un retour à la vie normale. Les bus circulent à nouveau, le métro a rouvert, et les affiches de voisins, proches, femmes et hommes portés disparus sont parties progressivement. Sous la Westway, grande artère londonienne qui surplombe le quartier sinistré, où de nombreux Londoniens étaient venus se recueillir, des mémoriaux, fleurs et dessins d’hommage persistants. Les pylônes y sont toujours tagués. Un soir de décembre, on peut y voir deux hommes peindre une banderole. « Elle sera encore plus belle demain », lance l’un d’eux. Sur la façade d’un pub fermé, « Love For Grenfell » est écrit à la bombe.

Tour calcinée

Mais une cicatrice demeure. Celle de cette tour calcinée et visible aussi bien depuis les fenêtres de l’église locale, au nord, que depuis la sortie du métro Latimer Road, au sud. Le soir, au pub Pig & Whistle, les clients s’affairent comme d’habitude, les étudiants fument dans le « garden » autour d’une bière. Sur les écrans de télévision, des images de la tour défilent sur la chaîne Sky News. « Cette tour, découverte, est une source de détresse pour la communauté », estime Mike Long, révérend de la Notting Hill Methodist Church très impliqué dans la vie du quartier. « Certaines personnes veulent la laisser ainsi, mais selon moi, ils ne sont pas du quartier. La colère est moins visible, les rues sont plus calmes, froides et sombres, mais de nombreuses personnes sont encore troublées », souffrantes, prévient-il :

« Les six mois écoulés ont été ressentis comme un long processus éreintant. Ça a pris tellement de temps pour que les corps soient retrouvés et les funérailles, organisées. »

Les autorités n’ont en effet achevé que récemment les fouilles, pièce par pièce, de l’immeuble et des débris à l’intérieur.

Le processus de relogement des familles mises à la rue par l’incendie est lui aussi extrêmement long, malgré les promesses formulées par le gouvernement en juin. Début décembre, les autorités locales ont révélé que 209 foyers attendaient toujours d’intégrer un logement permanent : seuls 42 ont été complètement relogés.

« La communauté a protégé les gens »

Face à toutes ces difficultés, le révérend veut saluer « les ressources fournies par la communauté locale ». « La communauté, c’est tout ce qui compte ici », déclare fièrement Abdul, un habitant du quartier, « les autorités ne font rien, et la communauté a protégé les gens. » Dans le quartier, la communauté forme un cordon virtuel pour protéger survivants et familles endeuillées des questions trop pressantes des journalistes. Des locaux sont occupés par les habitants, pour y faire vivre l’esprit de leur quartier, comme cet espace d’Acklam Village, à Portobello, avec des peintures, des affiches, et des instruments de musique, où nous emmène Abdul. Un ancien lycée, sous la Westway, a également été investi par les habitants, qui l’ont réaménagé en centre communautaire.

Le tissu religieux local, comme l’église méthodiste de Notting Hill, mais aussi la Latymer Community Church, sous la Westway, et la communauté musulmane, rassemblée sous l’organisation Grenfell Muslims Response Unit, ont également joué un rôle central dans les mois qui ont suivi l’incendie. « Cet endroit a toujours été régi par la communauté locale », estime Anthony, sans emploi, rencontré à la terrasse d’un café et qui est né et a grandi à North Kensington, « de nombreuses personnes ne font plus confiance au gouvernement. »

Pour Piers Thompson, qui vit dans une maison proche de la tour Whithstable, voisine de Grenfell, et s’est toujours battu pour préserver la diversité sociale dans le quartier, la solidarité a toujours été une valeur fondatrice :

« Les gens pauvres développent des réseaux d’entraide, parce que c’est tout ce que vous avez quand vous n’avez pas beaucoup d’argent. Comme par exemple quand cette femme, qui souffre de démence, sort et se perd dans le quartier, il y a toujours quelqu’un de la communauté pour la ramener à sa fille. »

Anthony n’a pas confiance dans la police, appelée aujourd’hui à établir toute la vérité sur les causes de l’incendie. La police de Londres a déclaré mercredi que deux cents officiers étaient mobilisés par ce dossier, qui s’annonce titanesque et pourrait s’étendre sur plusieurs années. Les autorités s’attachent à déterminer si des négligences ont été commises dans la rénovation de la tour, au mépris des réglementations, alors que des matériaux installés sur la façade sont largement mis en cause dans la propagation du feu.

Enquête publique

En parallèle, l’enquête publique promise par le gouvernement au lendemain de l’incendie a officiellement débuté lundi, avec deux jours d’audiences préparatoires. Plusieurs membres de la communauté ont cependant exprimé des doutes quant au déroulement de cette enquête, et ont émis des conditions pour que celle-ci soit la plus transparente et fiable possible. Dans une pétition signée par des milliers de personnes, et remise mardi au gouvernement, des familles de victimes appellent notamment à ce que l’enquête soit menée, non pas par un juge seul, mais également par un panel d’experts et d’intervenants. « Après tout ce qu’ils ont traversé, les familles des victimes et les survivants de la tour Grenfell méritent d’être entendus au long de cette enquête », a déclaré dans un communiqué Shahin Sadafi, responsable de l’association locale Grenfell United.

L’enquête a rapidement relevé différentes failles dans la construction puis la rénovation de la tour en termes de sécurité anti-incendie. Un audit sur de nombreuses tours du pays a donc immédiatement lancé. Selon une enquête de la BBC, au moins 52 immeubles sont concernés à Londres, revêtus d’un matériau isolant inflammable.

A Camden, dans le nord de la ville, les quatre tours de l’ensemble Charcots, à deux pas du métro Swiss Cottage, étaient concernées. Aujourd’hui, le quartier est animé par les chantiers, et les échafaudages s’activent autour des quatre blocs, où le revêtement reconnaissable qui habillait Grenfell avant l’incendie a été retiré. « C’est sécurisé maintenant », assure un contracteur sur place, qui déplore « une erreur coûteuse ». Selon les mêmes ouvriers, postés au pied de la tour Dorney, il faudra attendre l’an prochain pour l’installation d’un nouveau revêtement.

A Grenfell, des investissements ont posé des jalons pour le futur du quartier. Selon la conseillère d’arrondissement local, Elizabeth Campbell, du Royal Burrough of Kensington & Chelsea (RBKC), 28 millions de livres ont été débloqués par le gouvernement, et dix millions vont êtres consacrés à des « services supplémentaires de soutien psychologique » pour les victimes et la communauté. Et après ? « Une semaine après l’incendie, le seul soutien venait de nous, de la communauté, rappelle Andrea Newton, résidente de Lancaster West, les autorités doivent maintenant apprendre à traiter tout le monde équitablement. »