L’histoire du Capitaine Phasma, à peine évoqué dans « Le Réveil de la Force », est en réalité exploré dans un des innombrables comics inspiré de « Star Wars ». / MARVEL COMICS

Trois téléfilms, autant de séries animées, plus de cent cinquante jeux vidéo, quelque chose comme trois cents livres, et plus de bande dessinées et de produits dérivés qu’il ne serait raisonnable de les compter : c’est, en plus des six longs-métrages qui ont rendu célèbre la saga Star Wars, l’encombrant héritage qu’a récupéré Disney en rachetant les studios de George Lucas en 2012. Et derrière ces tonnes de papiers et de pixels, autant d’intrigues et de personnages totalement inconnus des spectateurs des seuls films.

Des histoires plus ou moins réussies d’empereurs clonés, d’anciennes républiques, de gants de Dark Vador, d’envahisseurs venus d’autres galaxies et d’enfants de jedi, se déroulant avant, pendant ou parfois longtemps après les longs-métrages venus satisfaire l’appétit des fans entre les longues, très longues périodes qui séparent parfois deux épisodes.

Un fatras de concepts foutraques et parfois loufoques, adorés ou moqués par les fans les plus pointus, ignorés par le grand public, et presque renié par M. Lucas lui-même, qui, s’il y a parfois pioché quelques noms (celui de la planète Coruscant, par exemple), n’hésite pas à déclarer qu’il n’a jamais lu un seul des nombreux livres inspirés de ses films.

Star Wars: Detours - Extrait #3
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Adieu à Mara Jade, la femme de Luke Skywalker

Entre 1976 et 2012, si George Lucas a été assez peu regardant sur ces déclinaisons, c’est parce qu’il considérait que l’univers des films et celui des livres, jeux vidéo et autres produits dérivés (aussi appelé « univers étendu ») constituaient deux œuvres distinctes, décrivant deux réalités différentes.

Une seule règle : la vérité de ses films prévalait systématiquement sur celles des produits dérivés. Au sein même de l’univers étendu, certaines œuvres étaient d’ailleurs plus « canons » que d’autres, c’est-à-dire plus ou moins validées par la société Lucasfilm. Les livres étaient ainsi davantage « canons » que les comics, mais moins que les séries animées : une hiérarchie censée permettre aux fans, quand deux œuvres se contredisaient, de déterminer laquelle détenait la « vérité ».

Et puis Disney est arrivé. Et après avoir entretenu le doute pendant deux ans, a mis les choses au clair en 2014 : du Star Wars période George Lucas, seuls les événements relatés par les films de cinéma et les 46 heures de la série animée The Clone Wars seraient désormais considérés comme ayant vraiment eu lieu dans cette galaxie de fiction. Le reste est condamné à disparaître de la mémoire collective, ou, dans le meilleur des cas, à être réédité assorti d’un joli bandeau doré « Legends », rappelant qu’il ne s’agit que de visions d’artistes. Adieu donc à Mara Jade, la femme de Luke Skywalker, au mercenaire Kyle Katarn ou à la petite famille de Chewbacca : pour Disney, ils n’ont jamais existé, quitte à s’aliéner la frange la plus dure des fans.

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Le but ? D’après le communiqué d’époque, il s’agit de « laisser les mains libres aux réalisateurs des films et de leur permettre de surprendre les spectateurs ». Logique : dès les années 1990, des auteurs tels que Timothy Zahn ont donné leur version des événements postérieurs au Retour du Jedi, qui constituait jusque-là la conclusion filmique de la saga. Une vision à laquelle Disney ne voulait pas se contraindre pour ses nouveaux films offrant aussi une suite à cet épisode.

Le géant américain a alors entrepris de créer son propre « univers étendu », cette fois-ci non pas conçu comme un mille-feuilles d’histoires plus ou moins officielles, imaginées dans leur coin par des auteurs avec beaucoup d’imagination, mais comme un récit unique, validé par une seule autorité. Avec, cette fois, une direction claire : chaque minute de contenu de chaque futur film, chaque futur jeu vidéo, chaque futur livre devra non seulement être cohérente avec les longs-métrages d’origine, mais influencera aussi les œuvres futures.

Dès lors, il devient possible d’interconnecter les œuvres. De croiser au cinéma un vaisseau d’abord aperçu dans la série Star Wars Rebels. De laisser la place, dans Le Réveil de la Force, a des zones d’ombre (comme la carrière militaire de Leia Organa) qui seront ensuite explorées dans la littérature. Ou encore d’inventer un moyen pour l’Empereur de continuer à donner des ordres au-delà de la mort dans le comics Les Ruines de l’Empire, et d’en entendre encore parler deux ans plus tard dans le jeu vidéo Star Wars Battlefront II.

Stupeur : dans le « Star Wars » de Disney, l’Empereur a, en quelque sorte, survécu à la mort. / ELECTRONIC ARTS

Une équipe spéciale veille au respect de l’univers

Une reprise en main qui n’a pourtant pas ralenti la prolifération d’œuvres estampillées Star Wars en dehors des salles de cinéma. Cinq années, une nouvelle série ambitieuse (Rebels) et trois films plus tard, l’univers remis à plat de Star Wars n’a pas fini de s’étendre, s’enrichissant de nouvelles planètes, de nouvelles espèces extraterrestres et surtout de nouvelles intrigues. On recense vingt séries de comics différentes, et la sortie d’autant de livres par an. La plupart paraphrasant ou précisant les films, certains explorant des facettes jusqu’ici inconnues de l’univers Star Wars.

C’est le cas de la trilogie littéraire Aftermath, contant la fin de l’Empire, telle qu’amorcée à la fin du Retour du Jedi. Un autre roman, L’Héritier des Jedi, s’attarde sur la jeunesse de Luke Skywalker, tandis que Tarkin ou encore Les Seigneurs des Sith racontent l’histoire du côté des méchants.

Pour s’assurer de conserver malgré tout la cohérence que vise Disney, le studio s’est organisé. La publication de comics, déjà, est désormais assurée par Marvel Comics, filiale du groupe, plutôt que par Dark Horse, partenaire habituel de Lucasfilm.

Mais surtout, autour de Leland Chee, déjà responsable de la hiérarchisation de l’univers étendu pour George Lucas, s’est ainsi constituée une équipe, le Star Wars Story Group (groupe des histoires de Star Wars). Ce sont eux que les réalisateurs viennent consulter quand ils ont besoin de vérifier un élément de la mythologie Star Wars, ou quand il s’agit de donner un nom crédible à un personnage, une planète ou une arme. « Nous participons à tous les aspects de la narration de Star Wars », confirme M. Chee sur Twitter.

Clins d’œil et réhabilitation

Si les fans de Star Wars se félicitent plutôt de la cohérence nouvelle de cet univers jusqu’ici pour le moins foisonnant et inégal, une nostalgie demeure pour les œuvres désormais étiquetée « Legends », celles qui ont vu apparaître certains des concepts les plus saugrenus de la saga.

Alors, comme autant de clins d’œil, Disney réintroduit, au compte-gouttes, quelques détails datant de l’ère George Lucas et appréciés des amateurs de la série. La série d’animation Star Wars Rebels, bénéficiant d’une exposition moindre que les films, est le parfait laboratoire pour ça.

Le Grand Amiral Thrawn, transfuge de l’univers étendu de George Lucas récemment réhabilité par Disney. / DISNEY

Les « starwarsophiles » les plus avertis ont ainsi pu y retrouver des planètes issues du jeu vidéo Knights of the Old Republic, des organisations inspirées par le jeu de rôle des années 1980, et surtout, le personnage de Thrawn, l’antagoniste de Luke Skywalker dans la plus célèbre (ou du moins la moins méconnue) série de romans Star Wars, La Croisade noire du Jedi fou. Signe du souci de cohérence de Disney : le Grand Amiral Thrawn a entre-temps eu droit à son propre livre en 2017, et apparaîtra dans un comics en 2018. Un moyen de progressivement réhabiliter l’ancien « univers étendu ».

Consécration : en 2016, dans le film Rogue One, un vaisseau tiré du jeu vidéo Knights of the Old Republic faisait une courte apparition au cinéma. Un des clins d’œil les plus appuyés pour l’heure… en attendant de pouvoir disséquer Les derniers Jedi scène après scène, dans l’espoir d’y détecter quelques emprunts.