Gedi s’apprête à reprendre la route vers la frontière éthiopienne. A quoi bon rester ici ? Les pluies ne viendront pas. Il regarde le ciel et la terre poussiéreuse qui n’offre en pâture à ses dromadaires que de maigres cactus et de frêles épineux. La petite saison des pluies qui a commencé en octobre ne s’annonce pas plus généreuse que la précédente pendant laquelle Gedi a perdu près de la moitié de son troupeau. Il lui reste 40 têtes, trop maigres pour être vendues.

Le pasteur, qui ne se dépare pas d’un sourire malgré sa mauvaise fortune, n’a pas dressé sa tente au pied des gros rochers de Laas Geel par hasard. Ici, il y a toujours assez d’eau. C’est ce que raconte la mémoire des nomades depuis des millénaires. Au milieu de cette étendue aride du nord du Somaliland, ce territoire autoproclamé indépendant du reste de la Somalie depuis 1991, les pigments colorés posés sur les imposantes parois de granit rouge témoignent de la présence d’abondants troupeaux, il y a plus de cinq mille ans. Des vaches ornées de parures semblent gambader sous le regard de quelques hommes droits comme des « i » et de petits canidés.

En contrebas du promontoire, l’empreinte de rivières suit les contours de la roche et un maigre filet d’eau atteste d’une nappe qui a traversé les âges. Mais il faudrait que le ciel se mette à pleurer pour que Laas Geel soit fidèle à son passé.

Gedi ne peut plus attendre. Les hommes, pas plus que les bêtes, n’ont assez à manger. « Avant on échangeait du lait contre des céréales mais il m’arrive d’envoyer mes enfants au lit sans manger », explique-t-il, sans se plaindre. Avec sa femme et ses neuf enfants, la famille compte onze personnes. Pour avoir un peu d’argent, il s’est mis à couper des arbres pour faire du charbon de bois qu’il vend en ville à quelques kilomètres de là.

Des précipitations insuffisantes

Depuis l’alerte mondiale lancée en février 2017 par les Nations unies pour prévenir les risques de famine dans cette région de la Corne de l’Afrique, la situation a pu être gérée grâce à l’afflux de près de 700 millions de dollars (591 millions d’euros) d’aide humanitaire sur l’ensemble de la Somalie, dont le Somaliland continue de dépendre officiellement, faute d’avoir été reconnu par la communauté internationale.

Mais alors que l’attention est retombée, tout indique que la population agropastorale, frappée depuis 2015 par les conséquences du phénomène climatique El Niño d’une grande sévérité, pourrait avoir à subir un nouvel épisode de sécheresse. « Nous craignons de revenir à la situation de quelques mois en arrière », s’inquiète Ibrahim Omar Duale, responsable du bureau du Norwegian Refugee Council (NRC) à Hargeisa.

Dans son dernier bulletin daté du 10 novembre, le département de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) chargé d’évaluer la situation en Somalie juge que, au vu des prévisions des météorologues, il est probable que la prochaine saison des pluies, c’est-à-dire entre avril et juin 2018, sera de nouveau au-dessous de la normale. Ce serait alors la cinquième saison consécutive avec des précipitations insuffisantes pour régénérer le couvert végétal et envisager de bonnes récoltes.

Les statistiques sur le nombre de personnes ayant besoin d’assistance humanitaire témoignent de cette dégradation : 600 000 personnes étaient répertoriées en situation de crise ou d’urgence en février 2017 au Somaliland. Elles sont aujourd’hui 820 000 pour une population de 3,5 millions d’habitants. « Les risques de famine ne sont pas écartés », conclut la FAO. Près de 175 000 personnes ont été déplacées depuis un an.

Certaines organisations internationales s’inquiètent cependant que le gouvernement ne mesure pas la gravité de la situation. « La crise est là. L’Etat doit réagir, prévient Mowlid Mudan, porte-parole de l’ONG Save the Children à Hargeisa. Il a attendu mars dernier pour demander de l’aide aux partenaires étrangers alors que, depuis plusieurs mois, on assistait sur le terrain à une hécatombe des troupeaux. Il ne faut pas recommencer cette fois-ci. »

« Repartir de zéro »

Les représentants des Nations unies se plaignent d’une « forme de déni des autorités ». « Le gouvernement a refusé la coordination de la réponse humanitaire qui est utilisée pour toutes les crises dans le monde. Il a voulu imposer sa propre organisation. Résultat : cela ne fonctionne pas, n’hésite pas à dénoncer Abdulrahman Abdullah, responsable local d’OCHA (bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies). Nous avions établi un registre qui permettait de savoir pour chaque ville, chaque village, quels étaient les besoins et comment ils étaient couverts. On m’a demandé de ne plus le tenir. Résultat : s’il faut intervenir demain, nous ne saurons pas le faire rapidement car nous n’avons plus les informations. Il faudra repartir de zéro. »

La préparation de l’élection présidentielle le 13 novembre 2017 a contribué à reléguer au second plan la sécheresse. « On attend. Nous sommes paralysés », pestait le fonctionnaire international quelques jours avant le scrutin.

Chacun se renvoie la balle. « C’est un peu facile. Les bailleurs nous ont mis la pression pour que nous organisions des élections transparentes. Ils ont même supprimé des crédits parce que nous étions en retard », rétorque aujourd’hui Zakaria Dahir, qui vient d’être reconduit à la tête du Comité national de lutte contre la sécheresse.

Bailleurs et gouvernement partagent cependant le même constat. « La situation risque d’empirer au cours des prochains mois dans les provinces de l’Est, celles qui ont déjà été les plus touchées par la sécheresse », reconnaît M. Dahir, « et nous ne pourrons pas faire face sans aide internationale ». Il évalue les besoins à « trois à quatre millions de dollars par mois » pour fournir des vivres, apporter de l’eau et des équipements de base pour l’assainissement.