En réponse au témoignage « J’ai tenu bon face à la conseillère d’orientation » publié le 5 décembre, un psychologue de l’éducation nationale a souhaité réagir et raconter son métier et son quotidien, tout en préservant son anonymat.

Un étudiant regarde les résultats du baccalauréat le 7 juillet 2015 au lycée Georges Brassens, à Paris. / MARTIN BUREAU / AFP

« Je suis qui ? L’incompétent ? L’incompétence ?

Je suis qui ? Un psy de l’éducation nationale ? Un orienteur ? Un conseiller ? Un psychologue ?

Je suis qui ? Un bac + 5 ? Un lauréat de concours ?

Je ne sais pas, alors je lis, j’analyse, je réfléchis et grâce à l’avis de ceux qui savent, je me ferai une identité. À moins que…

A moins que, je repense à mes premiers emplois dans le monde « réel », la vraie vie comme ils disent, celle de l’entreprise, avant d’opter pour un concours, un métier de conseiller d’orientation, maintenant appelé « psychologue de l’éducation nationale », spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » !

A moins que, je me penche sur mon quotidien professionnel, mes actes, mes missions quotidiennes. Dans une semaine à cinq jours, je partage mon temps entre quatre lieux d’activités : trois établissements scolaires – soit 1 550 élèves –, et un CIO, avec un public « tout venant ». Mes plages de rendez-vous sont pleines, celles de mes collègues aussi. Elèves, familles, adultes, étudiants, chômeurs… : ceux qui ne savent pas encore qu’ils viennent consulter (gratuitement) un(e) incompétent(e) sont nombreux dans notre pays.

« Un travail dont vous ne savez rien »

Venir pour quoi, d’ailleurs ? Pour leur avenir ? Oui, peut-être, souvent, mais… pas que. Voyez-vous, si la parole est libre, la parole non éclairée pose question. Que savez-vous, quel effort intellectuel faites-vous, vous qui si promptement jugez, pour parler ainsi de femmes et d’hommes qui au quotidien, avec leurs savoirs, leur conscience, leurs fragilités, font un travail dont vous ne savez rien ? Alors lisez un peu qui nous sommes.

Psy ? Oui, parce qu’écouter, recevoir une parole, soulever un questionnement, mettre en mouvement, éclairer, donner des outils, indiquer une méthode, aider ou contribuer au choix, à la décision, réclame une formation (Master 2 de psycho, concours puis un an de formation, économie et stage en entreprise compris). Parler d’orientation, c’est parler avec l’autre, c’est permettre à l’autre de se repérer, dans ce qu’il est, comme dans son environnement. Oui, il faut pour cela distiller de l’information, « faire sens », donner des liens utiles, des photocopies aussi.

Cependant cela est accessoire, quand l’essentiel est travaillé. On ne fait pas de l’orientation comme l’on cause foot au bar des sports. Si au bar des sports tout le monde se sent l’âme d’un sélectionneur, concernant l’orientation, nombreux sont ceux qui ne voient en elle qu’affaire d’information. Pas nous, les psy EN. D’ailleurs, je l’avoue, je ne connais pas de tête la liste des milliers de formations post-bac, mais il y a le monde 2.0 pour nous permettre de trouver ce que l’on recherche !

« Vaincu d’avance »

Est-ce que je connais tous les métiers ? Sur ce thème aussi, je suis vaincu d’avance. Non, je n’ai jamais été ingénieur ni médecin ni éboueur ni menuisier ni astronome ni pompier ni infirmier, pas plus que maçon, secrétaire, plasturgiste ou footballeur (c’est con, j’aurais aimé). Mais j’ai reçu une formation et aussi de la formation continue, sur le système scolaire, universitaire, les filières et procédures, sur le monde économique, avec des visites d’entreprises, des rencontres de partenaires, ceux de pôle emploi ou des missions locales, des universités et des CFA, pour aborder du mieux possible les problématiques de ce qui est le cœur de notre activité : le travail auprès des élèves. Tous les élèves.

De la 6e à la terminale, nous travaillons sur l’adaptation scolaire et la réussite, le repérage des difficultés cognitives, l’information, le conseil, l’accompagnement à l’orientation, à la prévention des risques, contre toutes les violences, les stéréotypes, ceux du genre, ceux de l’origine sociale, le déterminisme, pour faire naître l’ambition scolaire comme l’affirmation des ambitions et des choix. Notre activité partagée en équipe (chefs d’établissements, enseignants, assistant(e) s sociaux, médecins) s’inscrit dans les valeurs prônées par l’école de la République : contribuer à la réussite de tous ses élèves.

La liste est longue de nos activités quotidiennes. Entre entretiens individuels, réunions d’équipes de suivi, bilans psychologiques, dossiers CDOA, MDPH, classes relais, MLDS, groupes de prévention du décrochage, projets de retour en formation, plateforme de lutte contre le décrochage, séances d’infos, conseils de classe, salons, réunions de parents et « animations » diverses pour que les familles les plus éloignées de l’école reviennent vers elle, apprennent « l’institution », ses méandres, son sens…

« Orienteurs adéquationnistes »

Certes, nous faisons peut-être tout cela avec beaucoup d’incompétence. Certes, nous le faisons peut-être trop peu, vu que nous sommes si peu nombreux pour mener à bien ce que le décret sur nos missions et les priorités ministérielles ou académiques nous demandent. Mais nous le faisons en accord avec ces directives et notre déontologie. Ce qui ne plaît pas à certains ni à quelques politiques ou organisations patronales. Car nous ne sommes pas des « orienteurs adéquationnistes », pas plus que nous ne sommes ceux qui affectent en lycée pro, qui décident d’un contrat d’apprentissage ou réduisent à la disette les universités françaises. Parce que malgré les mots et les critiques, notre profession n’a pas pour mission d’être cela.

Derrière les mises en cause de mon métier, il y a depuis des décennies une malhonnêteté intellectuelle insupportable qui a fini par atteindre le quidam du bar des sports. Celle du mythe « formation emploi ». Celle qui consiste à cacher la cause des maux dont souffre notre jeunesse : le chômage. Le chômage n’est pas seulement une question d’orientation, pas plus que de qualité de la formation. Le discours politique et patronal est rempli de mystifications.

Alors pour les enfouir on montre du doigt les services d’orientation, on nous explique qu’il faut orienter les jeunes vers l’apprentissage (mais les CFA sont pleins), vers les métiers de demain (mais ça fait vingt-sept ans que j’entends nos grands spécialistes énoncer comme exemple l’informatique et l’aide à la personne !), orienter les jeunes vers les métiers en tension (maçon, serveur, aide à domicile : des métiers qu’ils préconisent d’ailleurs eux-mêmes à leurs enfants bien sûr).

« Dévoiement du bac pro »

La dernière grande mystification est celle du procès fait à APB. Pourquoi n’a-t-on pas clairement, honnêtement dit que derrière la crise de la rentrée dernière, il y avait le dévoiement du bac pro ? Fonction première de ce bac : donner une meilleure qualification professionnelle aux lycéens de la voie pro AVANT leur entrée dans la vie active. Sauf que chômage + chômage des jeunes + jeunes sans activité = DANGER SOCIAL. Alors on a encouragé la poursuite d’études et le discours a évolué, pour devenir celui-ci : « bac pro, bac d’égale dignité ».

Sur le terrain, pression était mise aux proviseurs de lycées professionnels, enseignants et conseillers d’orientation-psychologues pour encourager ces lycéens à postuler sur APB. Sauf que : places insuffisantes en STS, échecs annoncés en DUT, donc « Inscrivez-vous en licence ». Jusqu’à faire exploser le système, non préparé à accueillir cette « masse ». On a accusé l’algorithme, on accuse l’orientation, le manque d’information. On accuse… pour mieux cacher les dévoiements et mener à bien, d’autre part, une révolution qui se cache encore : l’officialisation de la sélection post-bac.

APB était un exemple. Mais il y a tant d’autres idées reçues sur le système éducatif, d’idées fausses ou abordées avec une certaine malhonnêteté intellectuelle. Comme celles sur mon métier et ses « pouvoirs », celles sur l’étendue de notre incompétence à résoudre un certain nombre de maux que notre société ne sait plus voir, dupée par les mots.

Voilà, c’était ma réponse, celle d’un psychologue de l’éducation nationale, un poil courroucé !