Le président d’Afrique du Sud Jacob Zuma à Johannesbourg le 15 décembre. / WIKUS DE WET / AFP

Cinq jours de congrès, plus de 5 000 délégués, six postes à pourvoir, dont celui de président : l’Afrique du Sud retient son souffle alors que le Congrès national africain (ANC) s’apprête à vivre une semaine historique. Samedi 16 décembre s’ouvre à Johannesburg la 54e conférence nationale du parti de Nelson Mandela, dans un contexte d’intenses divisions, de morosité économique et de crise de confiance. Plus que jamais, la nation arc-en-ciel et le parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid sont en proie au doute.

Organisée tous les cinq ans, la conférence élective du plus vieux parti politique d’Afrique culmine avec la désignation d’un nouveau chef. Ce scrutin est capital : le candidat victorieux sera chargé de mener la bataille aux prochaines élections générales, en 2019. Rongé par de multiples affaires de corruption, confronté à l’érosion de son électorat, l’ANC s’y présente en très mauvaise posture.

Parti divisé

Les analystes prévoient un congrès difficile, au moment où le septuagénaire Jacob Zuma, vu comme l’artisan de la débâcle, doit passer la main après deux mandats. « Jacob Zuma est le président le plus clivant que l’ANC n’a jamais eu. En plus d’être parvenu à diviser le parti, il a torpillé l’alliance tripartite, avec les communistes et les syndicats, qui l’a porté au pouvoir, tel un entrepreneur du chaos », explique l’analyste politique Judith February. « Le parti va devoir faire face à ce qu’il est devenu, c’est-à-dire une formation minée par la corruption, alimentée par Zuma lui-même et les très nombreux scandales dans lesquels il est impliqué. »

Deux candidats partent favoris dans cette course à la succession. D’un côté, Jacob Zuma a adoubé l’ancienne chef de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, 68 ans, son ex-femme. Expérimentée, plusieurs fois ministre, elle est perçue comme la plus à même de protéger les intérêts de son clan et de le préserver de nombreuses poursuites judiciaires.

Face à elle, le vice-président Cyril Ramaphosa, 65 ans, a pris la tête des frondeurs au sein de l’ANC. Un syndicaliste réputé, devenu homme d’affaires millionnaire, il coalise tous ceux qui sont exaspérés par la litanie de scandales qui entourent Zuma et plombent son second mandat.

Deux visions

Ce duel est aussi le choc de deux visions économiques. D’un côté, la ligne « nationaliste » qui veut corriger les injustices de l’apartheid par une « transformation radicale de l’économie » téléguidée par l’Etat. Une politique incarnée par Jacob Zuma depuis son arrivée au pouvoir en 2009, et vécue comme un échec, en ce qu’elle a permis l’enrichissement d’une petite élite liée au pouvoir et de nombreux débordements. De l’autre, une ligne « sociale-démocrate », favorable à l’économie de marché, compatible avec le capitalisme mondialisé. Pour beaucoup, Cyril Ramaphosa est attendu comme le messie qui va ramener l’économie dans le droit chemin et regagner la confiance des milieux d’affaires.

À Soweto, dans le quartier de Tshiawelo où il a grandi, le vice-président suscite une forte adhésion. « Il faut donner à Cyril la chance de diriger le pays. Plein de gens ici n’ont pas de travail. Lui va nous apporter des opportunités, c’est un businessman, il va faire revenir les investisseurs », explique Thembiso Dumbi, qui travaille dans la construction. « Il va unifier l’Afrique du Sud – les Blancs, les Noirs, les Indiens, les métis », enchérit Aaron Hutton, le gérant d’un cybercafé. Tous deux sont encartés à l’ANC et reprochent à Zuma ses manœuvres politiques qui ont déstabilisé l’économie, marquée par une croissance proche de zéro et un chômage avoisinant les 30 %.

Course historique pour une femme

Le président zoulou, l’ethnie majoritaire en Afrique du Sud, maintient toutefois sa popularité auprès des populations rurales, noires et défavorisées. « Si Ramaphosa gagne, absolument rien ne changera. Seuls les Blancs vont s’enrichir, car ils contrôlent l’économie », estime Kwanda Nkwanyna. Originaire du Kwazulu-Natal (est), le fief des Zuma, cet informaticien de 25 ans vivant à Johannesburg pourrait de prime à bord ne pas correspondre au partisan-type du président. Pour lui, la chute de l’apartheid n’a pas tenu ses promesses, alors que la minorité blanche, qui représente 9 % de la population, détient toujours 73 % des terres agricoles. « Je suis à fond derrière Nkosazana Dlamini-Zuma, d’abord parce que c’est une femme, qu’elle est noire, et ensuite parce qu’elle peut corriger certaines des erreurs commises par Zuma », espère t-il. Dans l’histoire de l’ANC, c’est la première fois qu’une femme arrive aussi loin dans la course à la magistrature suprême.

Samedi, devant les deux bataillons de délégués qui se feront face, Jacob Zuma va tenir son dernier discours de président du parti. Ensuite commenceront les tractations pour l’accréditation des délégués, qui pourraient cristalliser les tensions et retarder la tenue du vote.

Tractations en coulisse

Les délégués représentent plus de 3 000 fédérations locales de l’ANC. Depuis plusieurs mois, chaque fédération a désigné son candidat préféré et désigné ses représentants pour la conférence. Selon des décomptes non officiels, Cyril Ramaphosa mène la course avec plus de 1 800 nominations, contre 1 300 pour sa rivale. Un avantage en trompe-l’œil : le vote étant secret, les délégués peuvent théoriquement voter comme ils l’entendent, ce qui ouvre la porte à des tractations en coulisse, des achats de votes, des promesses de postes.

L’indéboulonnable Jacob Zuma, fin connaisseur des rouages du parti, qui a survécu à toutes les tentatives de l’opposition visant à le démettre, pourrait en outre ne pas concéder facilement la défaite de sa candidate. Tandis que l’étau judiciaire se resserre autour de lui, il doit impérativement placer ses alliés au pouvoir afin d’échapper à la prison.

Enfin, le chef de l’Etat devrait très probablement être contraint de quitter la présidence plus tôt que prévu, comme son prédécesseur Thabo Mbeki, en 2008. « Le parti a véritablement besoin d’un nouveau leadership pour pouvoir espérer se maintenir, décrypte l’analyste politique Daniel Silke. Quel que soit le gagnant, il devra précipiter la fin du mandat de Zuma pour pouvoir remettre l’ANC en ordre de marche et espérer relancer l’économie ». Et, peut-être, éviter la débâcle électorale en 2019.