Un livre de condoléances a été ouvert devant la mairie de Saint-Féliu-d’Avall, qui propose également l’aide d’une cellule psychologique, le 15 décembre. / RAYMOND ROIG / AFP

Cela pourrait ressembler à un après-midi normal dans la cour de l’école élémentaire Louis Clerc à Saint- Féliu-d’Avall, petite commune de 2860 âmes, à une dizaine de kilomètres de Perpignan. Mais ce vendredi 15 décembre, les enfants sont un peu moins disciplinés que d’habitude, beaucoup pleurent, les encadrants sont plus inquiets. A travers la grille de l’école, certains de leurs copains plus âgés sont venus parler du « drame ».

Dans le village, tout le monde veut parler. La veille, à 16 h 03, un TER qui circulait sur la ligne Perpignan-Villefranche – Vernet-les-Bains a heurté de plein fouet un car de la compagnie Faur, au passage à niveau n° 25, à la sortie de Millas. Le car scolaire, qui transportait vingt-quatre personnes, a été littéralement coupé en deux. Un second autocar, qui suivait, a échappé à la collision. Parmi les victimes figurent dix-neuf enfants âgés de 11 à 17 ans, scolarisés au collège Christian-Bourquin de Millas. Cinq adolescents, dont le plus jeune avait 11 ans, sont morts dans la collision. Vendredi soir, le pronostic vital était engagé pour cinq autres. Tous habitaient Saint-Féliu-d’Avall, ainsi que la conductrice du bus et celui du TER.

« Scène de guerre, horreur absolue »

Vendredi, en fin d’après-midi, les gendarmes du peloton de Montpellier bloquaient encore l’accès au passage à niveau funeste. Les experts du pôle spécialisé dans les accidents collectifs, arrivés de Marseille, travaillaient encore sur les lieux. A sa tête, le procureur de la République, Xavier Tarabeux, s’est saisi de l’enquête. Lors d’un point presse, vendredi soir, il a fait savoir que ni le car ni le TER ne se trouvaient en excès de vitesse lors de l’accident. La majorité des témoignages recueillis va dans le sens de « barrières fermées » au moment où le bus se trouvait sur la voie. La conductrice du bus, dont le test d’alcoolémie s’est révélé négatif, a toutefois affirmé à son patron que les barrières du passage à niveau étaient levées et que le feu clignotant était éteint au moment où elle traversait les voies. Mais elle n’a toujours pas été entendue par les gendarmes.

Loin du début de polémique sur les responsabilités, c’est tout un village qui se trouve « en état de choc total », selon le maire de la commune, Robert Taillant. Arrivé rapidement au passage à niveau, il parle de « scène de guerre, d’horreur absolue pour les secours arrivés sur place » à peine cinq minutes après l’accident. En début d’après-midi, il recevait dans sa mairie les familles des victimes et enchaînait les réunions pour savoir comment gérer « l’après ». Chapelle ardente, funérailles communes ? La réponse sera donnée en début de semaine.

Espérance et incompréhension

Au collège Christian-Bourquin à Millas, psychologues, médecins scolaires et enseignants, après une visite le matin du ministre de l’éducation, Christian Blanquer, se sont relayés pour accueillir parents et enfants. Sur 250 élèves que compte l’établissement, une centaine sont venus pour se retrouver. Lors d’une conférence de presse, le ministre a promis que « au-delà d’un soutien pratique et psychologique immédiat, il faudra suivre ces jeunes pendant des mois, voire des années ». Un coordonnateur interministériel, Philippe Cèbe, a été nommé pour appuyer la cellule médico-psychologique. Assis sur les marches bien gardées de l’entrée du collège, Tom et Adrien, 15 ans, assistent au ballet des allers et venues. Désormais en lycée, ils sont venus pour « tenter de voir les potes » selon Tom. « Hier soir, on est allés sur les lieux de l’accident vers 18 h. J’ai vu le bus coupé en deux, du sang partout, des corps déchiquetés… Je suis triste, très triste » ajoute son ami. Pour le papa d’une élève de sixième, présente dans le bus qui suivait l’autocar accidenté : « Elle devait être dans le premier car, je crois qu’elle se sent coupable. Désorientée en tout cas. »

Même envie de se rencontrer, de ne pas rester seul, de se sentir utile dans la salle polyvalente voisine. Prévu de longue date, un don du sang organisé par l’Etablissement français du sang (EFS) a vu défiler près de 200 personnes, « contre une trentaine habituellement », commentait, ébahi, un infirmier. Vers 18 h, les hauts murs de l’église Saint-André de Saint-Féliu-d’Avall ont résonné des pleurs et abrité le recueillement d’environ 400 habitants. Familles des victimes, voisins, amis ou élus ont écouté l’abbé Benoît De Roeck évoquer « une grande espérance, malgré une infinie douleur », avant que celui-ci ne vienne parler à la presse, et lui demande « d’aider ce village meurtri ». Le maire, pour sa part, regrettait de « n’avoir reçu aucun coup de fil, ni de l’Etat, ni de la SCNF ». Avec cet adjectif permanent à la bouche : « Incompréhensible, tout cela est incompréhensible ».