« Mario + The Lapins Crétins », développé entre Montreuil-sous-Bois et Milan pour le compte du français Ubisoft, est l’un des succès de l’année. / Ubisoft

Des entreprises qui retrouvent le moral mais dont le chiffre d’affaires moyen a baissé de plus de 25 % ; qui créent de l’emploi, mais ont de moins en moins recours au CDI ; qui sont présentes sur tout le territoire mais qui, dans la moitié nord de la France, souffrent de la concurrence de Paris ; qui se féminisent progressivement mais restent encore massivement masculines.

C’est le bilan tout en contrastes que l’on peut tirer du Baromètre annuel du jeu vidéo du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et du think tank Idate DigiWorld remis, mardi 19 décembre, à Françoise Nyssen, la ministre de la culture.

Le baromètre a été dévoilé au sein du studio français Quantic Dream (dont le prochain jeu, Detroit : Become Human, sortira en 2018 sur PlayStation 4), et est également disponible en téléchargement sur le site du SNJV.

Cette étude, réalisée à l’été 2017 auprès de 198 des 1 040 développeurs, éditeurs, distributeurs et prestataires recensés en France (à l’exclusion des organismes de formation et des travailleurs indépendants) entend faire une « photographie » de l’état de l’industrie.

Des créations d’emploi

On en retiendra que le secteur emploie davantage : les entreprises employaient en moyenne 26,5 équivalents temps plein en 2016, et envisagent d’en employer 28,7 à l’issue de l’exercice 2017 ; 65 % d’entre elles souhaiteraient en outre recruter en 2018, pour un total de 1 300 équivalents temps plein.

En revanche, si la part de CDI (62 % des contrats en 2017) a augmenté depuis 2016 (+ 3 points), elle peine à revenir à ses niveaux de 2014, quand 70,4 % des effectifs des acteurs du jeu vidéo bénéficiaient de contrats à durée indéterminée. Le recours aux CDD a, dans le même temps, massivement augmenté (+ 35 % depuis 2014) ainsi que la part des stagiaires (+ 25 %).

En outre, le secteur reste profondément masculin, même si les équipes des studios de développement se féminisent lentement. En 2014, les femmes ne représentaient ainsi que 10,6 % des effectifs des studios, contre 14,4 % cet été.

Un chiffre d’affaires moyen à la baisse

Le jeu vidéo en France emploie et produit davantage : 830 jeux sont ainsi en cours de production selon le SNJV et l’Idate DigiWorld, contre 730 en 2016. Des jeux plutôt traditionnels, qui observent une certaine prudence vis-à-vis des modes. 18 % de ces projets, tout de même, exploitent les technologies de réalité virtuelle ou augmentée, mais en revanche 7,4 % seulement des studios proposent des jeux orientés « eSport » dans leur catalogue. Près d’un quart des studios envisage cependant d’investir dans le secteur.

Le modèle du « free-to-play » (ou F2P, jeux téléchargeables gratuitement, ensuite rentabilisés par la publicité ou les microtransactions) semble, lui, s’essouffler. Déjà en léger recul en 2016, le désintérêt de nombreux studios pour le F2P se confirme : 63,9 % des studios préfèrent désormais développer des jeux « premium » payants, alors qu’en 2016, 62 % s’intéressaient encore au F2P.

Le baromètre du jeu vidéo en France fait part d’inégalités géographiques entre le nord et le sud du pays. / SNJV / IDATE Digiworld

Si la production est à la hausse, les budgets, eux, sont à la baisse. De 2,18 millions d’euros de coûts de production engagés en moyenne par studio en 2016, l’on passerait, selon les dirigeants des entreprises interrogées, à 1,79 million en 2017.

Il faut dire que le chiffre d’affaires moyen des entreprises interrogées est à l’avenant. De 4 millions d’euros en moyenne en 2015, le chiffre d’affaires des entreprises du secteur passe à 3 millions en 2016, soit une baisse de 25 %. Pire : les estimations pour 2017 ne font état que de 2,2 millions de chiffre d’affaires en moyenne. Une baisse significative que le SNJV explique en partie « par le nombre grandissant de micro-entreprises » qui tire mathématiquement la moyenne vers le bas.

Cas particulier : le chiffre d’affaires des studios de développement (par opposition à leurs éditeurs et prestataires) qui pourrait, lui, afficher une embellie en 2017. Tirées vers le haut par les plus gros studios du pays, les estimations font en effet état d’une hausse possible de 49 % du chiffre d’affaires moyen cette année. Dans la mesure où elle se vérifierait, cela mettrait les résultats de l’année 2017 au niveau de celle de 2015, après une année 2016 en retrait.

La France coupée en deux

Le baromètre annuel du jeu vidéo aborde aussi la question de la répartition géographique des entreprises du secteur. Les régions Normandie (quatre entreprises), Centre-Val-de-Loire et Bourgogne Franche-Comté (une entreprise chacune, tout comme la Corse et La Réunion) restent les parents pauvres du jeu vidéo français, sans doute concurrencés par la proximité des pôles parisiens et lyonnais. C’est tout de même mieux qu’en 2016 : le SNJV n’avait pas recensé la moindre entreprise dans ces régions. Globalement, on constate que l’Ile-de-France draine largement les emplois des régions voisines : les deux tiers des entreprises de la moitié nord de la France y sont installées.

Dans la moitié sud, à peine moins active (363 entreprises recensées, soit deux entreprises françaises sur cinq), les acteurs du secteur se répartissent en revanche de façon beaucoup plus homogène sur le territoire.

On peut aussi noter un dynamisme nouveau à l’ouest : depuis 2016, le nombre d’entreprises a augmenté de 50 % en Bretagne (33 entreprises liées au jeu vidéo en tout), de 16 % en Pays de la Loire (57 entreprises), et surtout de 133 % en Nouvelle-Aquitaine (112 entreprises), dans le sillage de l’ouverture cette année à Bordeaux d’une filiale du géant Ubisoft.

L’ex-région PACA n’est pas en reste pour autant : elle compte désormais 63 entreprises liées à l’industrie du jeu vidéo, soit 57,5 % de plus qu’en 2016.

Des entreprises optimistes

S’il convient de nuancer les créations d’emploi, la progressive féminisation du secteur et l’apparente bonne santé des studios de développement, les entreprises dans leur ensemble restent cependant plus optimistes que jamais.

D’après le rapport du SNJV et de l’Idate DigiWorld, 88 % des entreprises interrogées sont plutôt confiantes voire très confiantes en l’avenir du secteur. C’est presque deux fois plus qu’en 2014. Un optimisme qui n’est sans doute pas totalement étranger au relèvement du crédit d’impôt au jeu vidéo à 30 %, effectif depuis le mois d’août. 83,7 % des entreprises s’estiment du reste satisfaites des aides de l’Etat et des régions.

Dans l’ensemble, 72,1 % des entreprises interrogées considèrent ainsi la France comme un pays attractif. C’est près de 16 points de plus qu’en 2016, et quasiment deux fois mieux qu’en 2014.