Le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à Bruxelles, le 19 décembre. / VIRGINIA MAYO/AP

Ils voulaient l’entendre répéter son engagement européen et, officiellement, ils ont été satisfaits : Sebastian Kurz, le nouveau chancelier autrichien, a rencontré successivement Donald Tusk, le président du Conseil européen, et Jean-Claude Juncker, celui de la Commission, dans la soirée du mardi 19 décembre.

Le premier n’a rien communiqué, le second a tenu une conférence de presse, affirmé que le programme européen du nouveau gouvernement lui convenait « presque à 100 % ». Lors de leur tête-à-tête, M. Juncker a, d’après nos informations, mis en garde le chancelier contre l’attribution de passeports autrichiens aux germanophones du Haut-Adige, en Italie. Et lui a suggéré de ne pas s’allier aux pays du groupe de Visegrad sur les questions migratoires.

M. Kurz a affirmé, de son côté, que son pays voulait « contribuer au renforcement de l’Union » et « façonner » celle-ci. Il n’a pas détaillé ce projet, se contentant d’évoquer ses priorités : promouvoir la subsidiarité afin de laisser l’Union s’occuper des « questions importantes », combattre l’immigration, faire respecter l’Etat de droit « partout en Europe » et « jeter des passerelles entre l’Est et l’Ouest ». M. Kurz juge « erroné » et trop partiel le mécanisme de quotas obligatoires qui, assure-t-il, n’est « pas une réponse » à la crise migratoire.

C’est la première fois qu’un chancelier autrichien se rend à Bruxelles pour sa première visite officielle et, en s’inscrivant dans les pas du président écologiste Alexander Van der Bellen, qui avait fait de même, M. Kurz entendait s’afficher comme un partenaire fiable.

« Battage »

Dès lors, ses interlocuteurs n’entendaient pas l’embarrasser en évoquant son alliance controversée avec l’extrême droite. Ce n’est qu’en réponse à des questions de journalistes qu’une mention du Parti de la liberté (FPÖ) a été faite. M. Juncker affirmant ne pas comprendre « le battage » autour de cet événement, puisque le nouveau gouvernement se dit proeuropéen, et assurant que la Commission travaillerait avec tous les ministres désignés.

Une allusion à peine masquée au commentaire du socialiste Pierre Moscovici, commissaire aux affaires économiques et monétaires, qui a prôné la vigilance des démocrates et estimé sur Twitter que « la présence de l’extrême droite au pouvoir n’est jamais anodine ».

Le responsable français est le seul membre des institutions à avoir fait un commentaire sur l’arrivée au pouvoir du FPÖ. Mais, sous le couvert de l’anonymat, certains soulignent que la nomination de ministres de ce parti aux postes de l’intérieur ou de la défense pourrait se révéler problématique. Et ce, alors que l’Union entend définir une politique migratoire cohérente, rester unie face à la Russie – le vice-chancelier FPÖ Heinz-Christian Strache est un supporteur de Vladimir Poutine – et imposer les règles de l’Etat de droit à l’est. « Bonne chance et rendez-vous le 1er juillet 2018 ! », lance, narquois, un diplomate. C’est à cette date que l’Autriche prendra, pour six mois, la présidence tournante de l’Union.

Mardi soir, personne, en tout cas, n’a évoqué l’hypothèse de sanctions contre Vienne, comme ce fut le cas en 2000 lors de la première participation du FPÖ à une coalition avec les conservateurs. D’ailleurs, ce n’est pas la Commission qui les avait réclamées, dit M. Juncker, mais « certains Etats membres » – en premier lieu la France.

Sur la Pologne, Kurz botte en touche

Pas question, non plus, de souligner que, tandis que M. Kurz tentait de rassurer ses interlocuteurs, Harald Vilimsky, le chef de file de l’extrême droite autrichienne à Strasbourg, affirmait que sa formation n’entendait pas quitter le groupe constitué autour de la présidente du FN, Marine Le Pen, avant les prochaines élections européennes, en 2019. De quoi s’interroger, déjà, sur la cohérence entre l’orientation prétendument proeuropéenne du gouvernement et l’appartenance de l’une de ses composantes à une fraction qui prône la dissolution de l’Union, comme l’a souligné l’eurodéputée libérale Angelika Mlinar.

Et, pendant ce temps, la Hongrie de Viktor Orban s’empressait de faire savoir que Karin Kneissl, la nouvelle ministre autrichienne des affaires étrangères, nommée par le FPÖ mais non encartée, avait accepté une invitation à se rendre en visite officielle à Budapest début 2018. Selon le quotidien Kurier, la ministre veut réserver son premier voyage à Bratislava, la capitale de la Slovaquie, dirigée par une coalition entre la gauche populiste et l’extrême droite et autre membre du groupe de Visegrad.

En offrant la primauté à ses voisins de l’Est, la diplomatie autrichienne prouve qu’elle entend élargir encore l’audience des controversés Viktor Orban et Robert Fico, le premier ministre slovaque qui, depuis les attentats de Paris, dit vouloir « surveiller chaque musulman du pays ». Sur certains autres dossiers, comme la liberté de circulation des travailleurs détachés, les fonds structurels européens ou les questions de défense, l’Autriche, pays neutre, a des intérêts divergents de ceux de ses voisins.

Interrogé sur l’Etat de droit et le probable lancement, mercredi 20 décembre, d’une procédure contre l’un des pays du « V 4 », la Pologne, pour les menaces que la majorité au pouvoir fait peser sur l’indépendance du système judiciaire, M. Kurz a habilement botté en touche. Il a refusé d’apparaître comme un soutien au parti Droit et justice, laissant M. Juncker affirmer que « Bruxelles n’est pas en guerre » contre Varsovie et que « tous les ponts ne sont pas rompus ».