Le premier ministre espagnol Mariano Rajoy lors d’un meeting à Salou (Catalogne) le 17 décembre. / LLUIS GENE / AFP

Editorial du « Monde ». C’est une cuisante défaite que Mariano Rajoy vient de subir en Catalogne. Lorsque, le 27 octobre, en réaction à la déclaration unilatérale d’indépendance du gouvernement catalan, le premier ministre espagnol avait suspendu l’autonomie de la région et convoqué des élections anticipées, le premier ministre espagnol espérait briser l’élan du mouvement indépendantiste. Sa vice-présidente, Soraya Saenz de Santamaria, s’était même vantée de l’avoir « décapité ».

Jeudi 21 décembre, les électeurs catalans en ont décidé autrement. Avec 70 députés sur 135, les partis nationalistes conservent une majorité au Parlement catalan, même s’ils perdent deux sièges et plafonnent autour de 47,5 % des voix, le même niveau qu’en 2015. Plus humiliant encore pour Madrid, le Parti populaire de M. Rajoy ne conserve plus que trois députés au Parlement de Barcelone. Certes, il n’a jamais été un parti dominant dans la région, mais en 2012 il détenait encore dix-neuf sièges, et M. Rajoy n’a pas ménagé sa peine, en venant plus souvent qu’à l’accoutumée en Catalogne pour soutenir ses candidats. « Nous sommes du bon côté de l’Histoire », se félicitait-il il y a deux jours seulement.

Surtout, le parti du premier ministre est largement distancé par Ciudadanos qui, avec 25 % des voix et plus d’un million de suffrages, devient le premier parti catalan et s’affirme de plus en plus, au niveau national, comme le jeune rival de centre droit du vieux Parti populaire miné par les affaires de corruption. « L’Espagne doit avoir un projet d’avenir qui enthousiasme tous les Espagnols », s’est empressé de déclarer son président, Albert Rivera, partisan de nouvelles élections nationales, alors que M. Rajoy est à la tête d’un gouvernement minoritaire.

Que vont faire les indépendantistes de leur succès ?

Destitué par Madrid fin octobre et exilé en Belgique, l’ancien président régional, Carles Puigdemont, apparaît comme le vainqueur du scrutin. Il devance son ancien vice-président Oriol Junqueras, le chef de la gauche républicaine catalane (ERC) qui a dû faire campagne depuis sa prison. Quand bien même M. Puigdemont est menacé d’être arrêté pour « rébellion, sédition et détournement de fonds public » s’il revient à Barcelone, les urnes l’imposent comme le président potentiel de la Catalogne.

En outre, l’ancien président catalan n’est plus l’otage de l’extrême gauche indépendantiste de la CUP, qui a perdu six de ses dix députés et n’est plus en position d’arbitre. Avec soixante-six élus, et à condition qu’ils parviennent à s’entendre, les partis de M. Puigdemont et de M. Junqueras ont une voix de plus que les anti-indépendantistes. Ils peuvent chercher l’appui de Podemos, hostile à l’indépendance mais favorable à un référendum d’autodétermination.

Que vont faire les indépendantistes de leur succès, dans une Catalogne coupée en deux ? « La République catalane a vaincu la monarchie de l’article 155 », a lancé M. Puigdemont, en référence à l’article de la Constitution qui a permis à Madrid de prendre le contrôle de la région. Mais ni lui ni les représentants d’ERC n’ont évoqué, au soir du scrutin, une déclaration d’indépendance unilatérale. Ils renvoient la balle dans le camp de Madrid. « Ou Rajoy change de recette ou nous changeons de pays », a déclaré M. Puigdemont, ce qui est une façon de dire que l’indépendance n’est pas la seule manière de sortir de la crise.

« M. Rajoy, faites de la politique ! »

Le dialogue de sourds entre ces deux dirigeants incapables de se parler est une des causes de la violence, principalement verbale, qui s’est emparée de la Catalogne depuis trois mois. Mais, dans cette région fracturée, l’issue ne peut être l’affrontement de deux camps irréconciliables. Les électeurs catalans ont voté massivement (près de 82 % de participation) et ont exprimé la diversité de leurs opinions, qui ne peut se réduire à un débat manichéen entre indépendantistes et « unionistes ».

M. Puigdemont a lancé un message au premier ministre espagnol : « M. Rajoy, faites de la politique ! » Connu pour son attentisme, l’intéressé va devoir forcer sa nature et faire des propositions à Barcelone. C’est le sens du scrutin du 21 décembre. C’est aussi le sens de l’Histoire.

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