Film sur Canal+ Décalé à 20 h 55

Dalida - Teaser Officiel HD
Durée : 01:25

S’il y a une chose que ­réussit Lisa Azuelos dans ce biopic de Dalida, c’est à réactiver le mythe de la chanteuse à la voix de velours qui, trente ans après sa mort, électrise toujours les dance floors. Cette star flamboyante qui a traversé la tête haute les modes successives du yé-yé, du rock et du disco aura été, sur le versant inti­me, l’héroïne malheureuse d’une vie tragique qui l’a conduite au ­suicide, une nuit de 1987. Esquissé de son vivant par la presse à scandale, embaumé après sa mort par Orlando, son frère cadet, ce récit fait d’elle une figure quasi christique, qui a payé sa célébrité du sacrifice d’elle-même.

« J’aspire à être une femme normale », lance-t-elle dans le film à Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe 1 et artisan de ses premiers succès. Elle voudrait qu’il l’épouse et lui donne un enfant. « Tu sais que toutes les femmes aspirent à être Dalida ? », ­répond celui-ci dans une pirouette. Dalida n’accédera jamais à cette image d’Epinal du bonheur car, comme le dit le personnage ­d’Orlando, elle « n’est pas une femme comme les autres ».

Alors qui est-elle ? Comment a-t-elle fabriqué son personnage de diva de variété tendance « dra­ma queen » orientale ? Comment choisit-elle ses chansons ? A-t-elle le sens des ­affaires ? Comment s’inscrit-elle dans la période de révolutions – esthétiques, politiques, sexuelles – qu’elle traverse ? A-t-elle une conscience politique ? En esquivant ces questions, en substituant les paroles de ses chansons à tou­te expression d’états d’âme, la réalisatrice dénie à son per­sonnage le statut de sujet pour le réduire à celui de pure image – fem­me sensuelle, en proie à des fantasmes de contes de fées et à l’acharnement du destin.

Une Marilyn européenne

L’idée aurait pu être riche si elle avait produit au­tre chose que ce long clip lisse. Certes servi par une belle et convaincante Sveva Alviti, mannequin et actrice italienne ­inconnue en France jusqu’à présent, dans le rôle de Dalida ; certes pimenté par la performance de ­Nicolas Duvauchelle, désopilant dans le rôle du compagnon mythomane Richard Chanfray ; certes agréable à regarder au moins pour les costumes et les accessoires, et à écouter si l’on aime les chansons.

Embrassant sa vie, le récit imbrique une success story spectaculaire avec une série de drames intimes, tiraillant continuellement le personnage entre la lumière et le gouffre. Le spectacle et la mort ; le spectacle est la mort. Cette dimension tautolo­gique est accentuée par les enchaînements répétés de séquences chantées montrant la star sur scène, « fusillée de lasers », et d’épisodes la cueillant les yeux dans le vide, la tête dans l’oreiller, sur le rebord de la baignoire ou enfouie dans ses mains.

Dalida (Sveva Alviti) et Richard Chanfray (Nicolas Duvauchelle) dans le film « Dalida », de Lisa Azuelos. / BETHSABÉE MUCHO/LUC ROUX

Un plan, au début, montre un ­papier écrit par Dalida. Enfantine, maladroite, l’écriture trahit un manque d’instruction, stigmate de la blessure d’enfance dont un scénario de biopic ne peut faire l’économie. Née au Caire en 1933 dans une famille italienne, Iolan­da Gigliotti a souffert d’une maladie des yeux qui l’a condamnée à porter de vilaines lunettes et à devenir le souffre-douleur de l’école, et plus encore de la perte de son père, mort en 1945 après avoir pas­sé quatre ans en prison.

Telle une Marilyn européenne, Dalida s’initiera en autodidacte à la philosophie de Heidegger, à la psychanalyse et à la sagesse orientale, sans jamais réussir à combler le vide de son éducation manquée. Alors elle pleure, toute seule. Et nos yeux restent secs.

Dalida, de Lisa Azuelos. Avec Sveva Alviti, Nicolas Duvauchelle (Fr., 2016, 124 min).