L’IN’ESS à Narbonne est un lieu mêlant espace de coworking, fablab et restauration. Ouvert dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, il s’adresse notamment aux jeunes chômeurs, en proposant formation et accompagnement. / 30Bis

Tribune. Le 15 décembre, le gouvernement a proposé un plan « Action cœur de ville » pour revitaliser les villes moyennes. Mais face au syndrome des vitrines vides et au sentiment de déclassement des habitants, la succession de « plans » des trente dernières années n’a jamais permis de penser un modèle engageant hors des centres métropolitains. En parallèle, le Front national s’empare du sujet en agitant les chiffons rouges avec un succès certain au regard des derniers résultats électoraux. Pourquoi ne pas s’inspirer des usages émergents dans l’économie collaborative pour écrire collectivement un nouveau récit pour les villes moyennes ?

Les récentes recherches menées par le Lab OuiShare x Chronos au travers de l’exploration Sharitories montrent que les pratiques issues de l’économie collaborative peuvent constituer un levier puissant de lien social et d’attractivité économique. Ces pratiques englobent quatre grands piliers : la consommation collaborative ; la production distribuée ; le financement participatif ; et la gouvernance partagée. Nos observations de terrain dans huit villes en Europe permettent de tirer plusieurs enseignements. Certaines sont liées aux caractéristiques des territoires, d’autres concernent la recomposition du jeu d’acteurs.

Les villes dites moyennes ont intrinsèquement un atout : leur taille justement. Elles sont le point de rencontre entre une masse critique d’habitants nécessaire pour mobiliser des communautés et le niveau de proximité adéquat pour créer de la confiance. Ni trop denses comme les métropoles, ni trop diffuses comme les zones rurales. L’arrivée de plates-formes de l’économie collaborative atteste d’un nouvel attrait. La plate-forme de financement participatif Bulb in Landes a permis de faire éclore douze projets en deux ans, notamment le lancement d’un festival de chorales à Aire-sur-l’Adour, le maintien d’une épicerie dans le village de Moustey, ou encore la production d’huiles de tournesol et de colza locales à Mugron. De son côté, le réseau social de voisinage Smiile compte près de cinq cents utilisateurs et dix-sept réseaux de voisins à Lorient pour une cinquantaine de partages d’objets et de services au cours de l’année écoulée. Si le volume paraît insignifiant, une dynamique est enclenchée et s’étend à d’autres aspects de la vie quotidienne.

Capture d'écran du site de proximité pour le partage entre voisins « Smiile », à Lorient / capture d'écran

Stratégie de coopération entre villes

Ce faisant, moyenne ou non, une ville ne peut plus être entendue comme un bassin économique isolé. La vitalité d’un espace urbain tient aujourd’hui moins à ses dimensions qu’à ses connexions. Cette réalité conduit à sortir d’une stricte logique de marketing territorial et de compétition entre villes, au profit d’une stratégie de coopération. Par exemple, Lorient, Vannes et Quimper ont décidé de sortir d’une démarche purement concurrentielle en s’alliant à l’échelle de la Bretagne Sud. Les trois villes collaborent autour de jobconjoints.bzh, une plate-forme pour aider les conjoints des cadres récemment recrutés sur le territoire à trouver un emploi à la hauteur de leurs qualifications. Le site revendique quatre-vingt-cinq entreprises partenaires pour douze cents offres d’emploi.

L’enjeu pour un territoire ne consiste pas seulement à renforcer ses atouts historiques pourvoyeurs d’emplois, comme la filière bois à Epinal ou la base militaire à Mont-de-Marsan. Il s’agit aussi d’attirer et de révéler un public d’entrepreneurs pour diversifier le tissu économique. Le maillage de tiers-lieux sur un territoire permet d’activer des communautés de travailleurs et de les faire fonctionner en réseau. Les interactions rendues possibles par ces lieux sont décisives pour recréer une économie de proximité. A Narbonne, la collectivité a ouvert l’IN’ESS, un espace dans un « quartier prioritaire de la politique de la ville » qui comprend un espace de coworking, un fablab et un lieu de restauration. Il s’adresse notamment aux 25 % de jeunes au chômage en proposant formation et accompagnement. Depuis l’ouverture, en décembre 2014, plus de douze cents emplois y ont été créés et sur les vingt-quatre apprenants de la Fabrique Simplon sur place, quatorze sont aujourd’hui sous contrat.

Favoriser la connexion entre acteurs

Une fois les projets lancés, il convient de favoriser le dialogue et la connexion entre acteurs du territoire. Pour redynamiser leur centre-ville, certaines villes s’appuient sur des « connecteurs », des individus capables de faciliter les relations entre les collectivités, acteurs économiques et habitants. Ces « connecteurs » sont des corps intermédiaires capables d’avoir le bon niveau de dialectique avec des interlocuteurs très différents. A Hilversum, aux Pays-Bas, des « liaison officers » font le lien direct entre les habitants, leurs initiatives de quartier et la municipalité, qui finance les projets dans une logique d’attractivité résidentielle. Ces agents sont les premiers acteurs d’une participation citoyenne globale encouragée par la ville. Ils animent notamment le projet Urban Farming 35, un réseau de jardins partagés pédagogiques, dont un sur deux est situé dans une école. A terme, ce rôle de « connecteur » pourra s’étendre entre les différentes villes afin de permettre aux meilleures innovations locales d’être reproduites à grande échelle.

Au-delà des discours alarmistes ou larmoyants, les pratiques collaboratives commencent à changer la donne dans les villes plus si moyennes. « Nous n’habitons pas des territoires, nous habitons des habitudes », affirme le philosophe Peter Sloterdijk. Prenons conscience qu’il est grand temps de changer nos habitudes pour nous autoriser à explorer d’autres possibles.