Editorial du « Monde ». Affirmer que de grands laboratoires pharmaceutiques ne sont pas au-dessus de tout soupçon est un euphémisme. Des scandales comme celui du Mediator l’ont amplement démontré. Que, de leur côté, les autorités sanitaires se soient montrées pour le moins maladroites en différentes occasions, au point de nourrir des soupçons de conflits d’intérêts, n’est pas moins évident. La gestion des campagnes de vaccination contre l’hépatite B dans les années 1990 ou contre la grippe A (H1N1) en 2009 suffit à le rappeler.

Ces constats justifient-ils de jeter le doute sur la nécessité de protéger la population, et en particulier les jeunes enfants, contre un certain nombre de maladies infectieuses ? Justifient-ils que des parents, égarés par des informations aussi alarmistes que douteuses, relayées notamment par les réseaux sociaux, récusent ces vaccinations au motif qu’elles seraient inutiles, voire dangereuses ? Evidemment non.

Le paradoxe veut que la France – patrie de Pasteur, où la première grande loi sur la vaccination obligatoire remonte à plus d’un siècle – soit le pays du monde où la défiance est désormais la plus forte à l’égard des vaccins. Selon une enquête internationale de 2016, 41 % de nos compatriotes ne sont pas convaincus qu’ils soient « sûrs ».

Onze vaccins

De fait, 30 % des enfants ne sont pas immunisés contre le méningocoque C et plus de 20 % contre la rougeole, la protection contre ces deux maladies n’étant pas obligatoires mais seulement recommandée. Or l’on estime que 90 % à 95 % des enfants doivent être vaccinés pour éviter la propagation des maladies les plus contagieuses.

Pour rétablir la confiance et garantir une protection sanitaire aussi complète que possible des enfants et des adultes qui les entourent, le gouvernement a donc décidé d’intervenir vite et fort.

Annoncée par le premier ministre, Edouard Philippe, dans son discours de politique générale en juillet, la réforme entre en vigueur le 1er janvier 2018 : aux trois vaccins déjà obligatoires pour les enfants de moins de 18 mois (diphtérie, tétanos et poliomyélite) s’ajoutent désormais huit autres (coqueluche, hépatite B, rougeole, rubéole, oreillons, pneumocoque, méningocoque C et Haemophilus influenzae B). Cette règle sera une condition d’admission dans les crèches, les garderies ou les écoles, ce qui devrait suffire à la faire respecter.

Jugée, ici ou là, trop brutale, cette extension de l’obligation vaccinale est parfaitement justifiée. Elle doit permettre de combattre la réémergence, même marginale, de maladies infectieuses comme la rougeole. Elle améliorera également la couverture vaccinale – insuffisante – des méningites et des hépatites B.

Mais surtout, elle devrait rappeler à chacun que la vaccination de masse est une nécessité de santé publique qui ne saurait être laissée au choix des parents. Seule cette prévention généralisée a permis d’éradiquer, pour l’essentiel, ces maladies du passé. Cet évident bénéfice fait plus que compenser les effets secondaires, voire les risques minimes, provoqués par les vaccins.

Il sera bien temps, dans quelques années, d’évaluer les effets de la nouvelle législation. Rien n’interdit d’imaginer, si elle a atteint son but, qu’elle soit alors assouplie. Dans l’immédiat, elle s’impose. Comme s’impose le travail d’information et de pédagogie que doivent mener les autorités sanitaires pour contrecarrer les thèses, fantaisistes quand elles ne sont pas complotistes, qui nourrissent la défiance vaccinale.