L’ancien conseiller spécial de Donald Trump, Steven Bannon. / Brynn Anderson / AP

C’est un des photomontages médiocres dont le New York Post a le secret. Plantés devant un Panthéon romain de carton-pâte, les visages détourés à la hâte de Donald Trump et de Steve Bannon se font face, d’un côté et de l’autre de la une du tabloïd new-yorkais. « Et tu, Bannon », peut-on lire en lettres blanches, en référence à la célèbre locution latine qu’aurait proférée César face à son ami et assassin complice, Brutus.

Est-ce la fin consommée du couple qui avait mené le candidat républicain à la victoire en novembre 2016 ? Certes, l’alliance entre Donald Trump et son ancien directeur de campagne, Stephen Bannon, avait déjà pris un coup dans l’aile quand le président américain avait décidé de se séparer des services de celui qui était devenu, contre l’avis de beaucoup dans son entourage, son conseiller spécial.

Mais la publication, mercredi 3 janvier, des bonnes feuilles d’un livre qui laisse la part belle au sulfureux rédacteur en chef de Breitbart News pourrait avoir « déclenché la guerre » entre les deux hommes, note le Guardian jeudi.

« Combat politique au couteau »

En quelques phrases, Steve Bannon qualifie ainsi de « traître » et de « demeuré » le fils aîné de Donald Trump pour avoir organisé une rencontre le 9 juin 2016 avec des Russes dans la Trump Tower. Avec ces propos, M. Bannon a « réussi à faire exploser la bombe que la Maison Blanche cherchait à désamorcer depuis que ce rendez-vous a été porté à la connaissance du public », note la britannique BBC.

Car Steve Bannon donne assurément du crédit à la ligne empruntée par les enquêteurs de Robert Mueller, le procureur spécial chargé d’investiguer les liens entre la campagne Trump et la Russie. L’ancien conseiller spécial du président dit, en outre, être persuadé que cette enquête va faire tomber un à un les proches de Donald Trump, et atteindre le plus haut sommet de la Maison Blanche, notamment à cause « d’histoires de blanchiment d’argent ».

« Si toute personne ayant interviewé Steve Bannon ne peut être surpris de la virulence de ses propos, le fait qu’ils soient publiquement assumés est choquant pour tout le monde », analyse le site Internet d’information Axios. Et la BBC de reconnaître qu’il s’agira d’un « combat politique au couteau qui aura des conséquences ».

« Les rats sont enfin en train de dévorer leurs petits »

Donald Trump a d’ailleurs été très prompt à réagir, puisque quelques heures après la diffusion de ces propos par le New York Magazine, les avocats de M. Trump ont fait part de leur intention de porter plainte contre M. Bannon, l’accusant d’avoir enfreint l’accord de confidentialité qui le liait à la Maison Blanche et d’avoir diffamé le président.

Cette menace judiciaire s’est accompagnée d’un communiqué au vitriol de la présidence des Etats-Unis :

« Steve Bannon n’a rien à voir avec moi ou ma présidence.  Il n’a eu qu’un rôle très limité dans notre victoire historique. (...) Steve était rarement dans des rendez-vous en tête-à-tête avec moi, et il ne fait que prétendre avoir eu de l’influence (...). Il ne faisait que faire fuiter de fausses informations pour se rendre plus important qu’il n’était. Quand il a été limogé, il n’a pas seulement perdu son travail, il a aussi perdu la raison. (…) Steve ne représente pas ma base [électorale], il ne cherche que son propre intérêt. »

« Les rats sont enfin en train de dévorer leurs petits », a commenté le soir même le célèbre animateur de talk-show, Jimmy Kimmel, dans son traditionnel monologue de début d’émission. Car il s’agit bien, pour le Washington Post, d’une « tentative désespérée de faire taire M. Bannon ».

Pourquoi ? Parce que cette passe d’armes entre Donald Trump et celui qui est considéré comme le principal stratège de sa campagne victorieuse n’est pas anecdotique, rappellent à l’unisson les médias américains. Si les conséquences judiciaires restent peu probables – M. Bannon témoignant contre M. Trump serait un scénario difficilement tenable pour les deux parties –, les conséquences politiques sont bien réelles.

Un « schisme » potentiellement explosif

« Qu’est ce que cette altercation Trump-Bannon veut dire pour nous tous ? », s’interroge ainsi un éditorialiste du Guardian. « D’abord – et ce doit être un record homologué par le Guinness Book des records –, cela signifie déjà la fin de nos espoirs de voir cette nouvelle année être celle du retour à la raison et à la normalité », complète le journal.

Surtout, les conséquences politiques de ce duel fratricide peuvent être immenses. « En partant du principe que ce schisme dure – ce qui, avec M. Trump, relève toujours de l’incertain –, il pourrait permettre de voir qui, du président ou de M. Bannon, a plus d’écho dans la base ultra-conservatrice qui a permis à Donald Trump de garder des soutiens indéfectibles malgré des sondages de popularité très bas », note ainsi le New York Times.

En d’autres termes, qui aura la garde des enfants ? Pour le quotidien new-yorkais, il ne fait aucun doute que « le site nationaliste de M. Bannon, Breitbart News, a toujours été une arme clé dans la conquête agressive du parti républicain par Donald Trump », et le président américain « aura du mal à s’en passer pour se maintenir au pouvoir ».

Lire (en édition abonnés) : La rupture est consommée entre Trump et Bannon

Le président peut-il dès lors survivre sans son atout majeur ? Pire, son atout majeur peut-il se retourner contre lui ? Dans US News, l’éditorialiste Robert Schlesinger estime ainsi que « ce serait assurément divertissant si Breitbart News lançait le djihad contre la Russie et ses interférences dans l’élection américaine ». Cette possibilité reste peu probable – « jusque là, Bannon avait apparemment d’autres chats à fouetter que de se préoccuper de ce qu’il évoque comme une “trahison” de la part de l’entourage de Trump », souligne le journaliste. Mais « au vu des personnalités pour le moins versatiles impliquées, on ne sait jamais », conclut l’article, qui préconise dès lors de « faire tourner le popcorn ».

Bannon 2020 ?

Avec ses propos acerbes, le président Donald Trump fait en tous cas un pari bien risqué, en partant du principe que les électeurs resteront de son côté. « Comme la série Game of Thrones avait eu son épisode intitulé “la bataille des bâtards”, la Maison Blanche connait désormais sa “bataille des vantards” », note CNN. Pour la chaîne américaine, M. Bannon, qui était resté solidaire du président américain même depuis son départ de la Maison Blanche, a été blessé par les réactions de Donald Trump. Et désormais, il « n’hésitera pas à jeter Trump du haut de la falaise si ça l’aidait à garder du pouvoir ». Avec, en ligne de mire, une éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2020 qui se fait de plus en plus crédible.

Pour le site d’information spécialiste de la politique américaine, Politico, le duel risque en effet d’être serré : « Si Bannon est une rock star au sein de la base ultra-conservatrice, Trump est toujours le roi ». Mais vu la marge de manœuvre plus que limitée de Donald Trump – il n’a gagné que de quelques dizaines de milliers de voix le collège électoral« Bannon n’a qu’à écorner un peu son image, et pas à le tuer complètement ». Reste que Bannon n’est pas non plus tout-puissant, comme l’a prouvé son échec récent lors de l’élection sénatoriale dans l’Alabama.

Mais pour le site d’information Politico, la « réaction colérique de Donald Trump reste malgré tout une erreur ». « Les puces, on les écrase nonchalamment, on ne les atomise pas avec un communiqué présidentiel », résume le journaliste, pour qui « Bannon est un joueur de premier plan, et Donald Trump se trompe s’il pense pouvoir le détruire ou même le blesser sans subir de conséquences ».

Qui est Stephen Bannon, l'homme de l'ombre derrière Donald Trump ?
Durée : 03:23