Lionel et Marie, le duo des Limiñanas, le 8 décembre, à Paris. | SABINE MIRLESSE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Il y a deux ans, sur la terrasse de leur maison de Cabestany (Pyrénées-Orientales), au sud de Perpignan, Lionel et Marie Limiñana découvraient, incrédules, un Tweet envoyé par Anton Newcombe. Le fantasque leader de The Brian Jonestown Massacre, groupe culte du revival psychédélique californien, écrivait au couple français qui forme The Limiñanas : « We should be friends. I want to record with you » (« Nous devrions être amis. Je veux enregistrer avec vous »). Le souhait a été exaucé. Il s’est concrétisé en un puissant album, leur cinquième, qui sort mi-janvier, Shadow People. Il est donc produit avec l’Américain, qui signe une nouvelle étape de l’improbable destinée du duo français.

Depuis leur formation en 2009, et un premier album en 2010, le multi-instrumentiste à la foisonnante barbe noire et la batteuse aux cheveux rouges et aux yeux bleu piscine ont acquis une place à part dans le paysage musical français, devenant, à leur rythme et depuis les Pyrénées-Orientales, les chouchous de l’internationale garage rock. Longtemps méconnus en leur pays, ils sont au seuil de la reconnaissance nationale, notamment depuis leur signature avec le label Because (Christine and the Queens, Charlotte Gainsbourg…).

Gossip Girl et New Order

La réputation d’Anton Newcombe aurait pu inquiéter les Français. Dans le film DIG ! (2004), grand moment de documentaire rock’n’roll dressant le portrait croisé de deux groupes, The Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre, le chanteur-guitariste apparaissait en tyran destroy, drogué et paranoïaque. Ce songwriter prolifique (17 albums depuis 1995) s’est, semble-t-il, calmé. « On a découvert quelqu’un de généreux et ultra-carré », précise Lionel Limiñana. Après une première collaboration pour une reprise (Two Sisters) sur une compilation hommage aux Kinks, les Catalans sollicitent à nouveau Newcombe pour chanter un titre (Istanbul is Sleepy) de leur nouvel album. L’Américain invite alors le duo chez lui, à Berlin, pour finaliser l’ensemble du disque. « Nous avons débarqué avec nos bandes dans son vaste home studio », se souvient « Lio ». « Avec son ingénieur du son, Andrea Wright, qui a travaillé, entre autres, avec Echo and the Bunnymen, nous avons refait les batteries, enregistré la voix d’Anton et ce qu’il voulait rajouter avec ses guitares vintage et un mellotron. »

« Un jour de 2009, nous nous sommes amusés à enregistrer tous les deux à la maison, avec un logiciel. Deux morceaux dont l’un, “Migas 2000”, donnait en français une recette de ma grand-mère. » Marie Limiñana

Le duo de Cabestany a pour habitude de s’entourer d’amis de passage pour des albums. Mais le casting n’avait jamais été aussi relevé. En plus de Newcombe, on retrouve ainsi l’ex-Joy Division et New Order, Peter Hook, dont la basse mélancolique (The Gift) ravira les fans de New Wave. Mystérieux crooner de la chanson française, Bertrand Belin a été convié (Dimanche), tout comme le singulier piano de leur voisin Pascal Comelade – avec qui ils avaient déjà produit l’album, Traité de guitarres triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées) (sic). Autre invitée de marque, pour la chanson-titre, la comédienne Emmanuelle Seigner prolongera l’expérience pour son cinquième album solo, bientôt produit par le couple. L’actrice avait découvert un titre du groupe, Down Underground, dans un épisode de la série américaine Gossip Girl. « Un ami me les a ensuite présentés. Je suis descendue dans leur village pour parler de notre projet et, en trente minutes, ils ont enregistré ma voix, explique l’actrice. J’adore la façon dont Marie et Lionel ont assimilé les références sixties, pour les retranscrire à leur façon. »

Séduire un certain gratin du rock, les Limiñanas le font depuis une ville, Perpignan, à l’insoupçonnée effervescence musicale. « Étrangement, une scène rock garage a prospéré dans la région grâce à d’excellents disquaires spécialisés », révèle Lionel Limiñana, qui possédait lui-même son propre magasin, Vinyl Maniac, avant de s’occuper des rayons de la Fnac locale. Le duo, qui aime scénariser ses albums, a d’ailleurs concentré la thématique de Shadow People, sur la période — du début des années 1980 au début des années 1990 — qui fut celle de leur jeunesse. Celui d’adolescents, amoureux depuis le lycée, se construisant en fréquentant différentes tribus rock, mods, skins, punks, rockabilly, et en s’entichant de la subversion électrique.

The Limiñanas - Shadow People (feat. Emmanuelle Seigner) [Official Audio]
Durée : 03:13

Marqué par la sauvagerie hypnotique des Stooges et des oubliés du rock psychédélique des années 1960 (The Seeds, The Chocolate Watchband, The Kingsmen…), Lionel organise des concerts et monte quelques groupes. Dans les années 2000, Marie le rejoint à la batterie au sein des Bellas, jouant plus subtilement de cet héritage sixties.

Hymne à une saucisse épicée

La suite tient plus de l’accident que du plan de carrière. « Un jour de 2009, nous nous sommes amusés à enregistrer tous les deux à la maison, avec un logiciel », se souvient Marie. « Deux morceaux dont l’un, Migas 2000, donnait en français une recette de ma grand-mère, rappelle Lionel. Nous les avons postés sur MySpace, et quelques jours plus tard deux labels de Chicago, HoZac et Trouble in Mind nous contactaient pour les publier. »

Alors vierges de tout répertoire, ils acceptent une proposition d’album et se baptisent The Limiñanas. Ils développent un style en mêlant leurs obsessions garage rock et leur goût des duos gainsbouriens, qu’ils complètent d’une touche de yéyé hallucinatoire et de références aux musiques de films (de préférence italiens). « Les Américains sont séduits, car on ne cherche pas à sonner comme eux », insiste Lionel, dont Longanisse, hymne à une saucisse épicée locale, a servi de BO à des défilés de mode à Los Angeles.

Sans renoncer à leur vie de village — parents d’un fils de 12 ans, Marie travaille à trois quarts temps à la médecine du travail, quand Lionel se consacre à la musique —, les Limiñanas ont grandi, au fil de petites tournées internationales. Le puissant, sombre et anglophone Shadow People devrait leur faire gravir une autre marche. Quitte à bousculer leur tranquillité. « Nous nous étions juré de ne pas accepter plus de 25 concerts par an, constate Marie. Nous en avons déjà 45 prévus en 2018. »

The Limiñanas, « Shadow People » (Because). Sortie le 19 janvier. En tournée. Le 29 mars, au Trianon, 80, boulevard de Rochechouart, Paris 18e.