Les étudiants sont très vite confrontés à la pratique de leur futur métier, en clinique, et assistent à des démos d’enseignants sur de vrais patients. / Fred Tanneau / AFP

Cours en ligne, simulation, classes inversées, séquences vidéo… Dans les facultés d’odontologie, l’heure est au renouveau des méthodes d’enseignement. Partout, on innove, on expérimente. « Nos étudiants ont désormais accès à l’information en temps réel : il n’est plus possible d’enseigner de façon dogmatique comme autrefois. Depuis une dizaine d’années, nous vivons une révolution pédagogique », affirme Sibylle Vital, doyenne de la faculté de chirurgie dentaire de l’université Paris-Descartes. « Nous sommes engagés dans un processus d’amélioration continue de nos formations », confirme Anne Dautel, son homologue de Rennes-I.

Premier changement notable : les cours magistraux se font rares. Les étudiants sont immergés le plus vite possible – dès la première année du cursus – dans la pratique de leur futur métier, en clinique. Ils assistent à des démos d’enseignants sur de vrais patients, s’exercent sur des « fantômes » (mannequins) munis de mâchoires réalistes et de dents en plastique, et acquièrent ainsi l’habileté nécessaire.

Des mâchoires reproduites en 3D

Autre outil en plein essor, la simulation. A Rennes-I, on l’utilise pour apprendre les procédures de soins. En complément, les étudiants ont accès à plus de cinquante ressources en ligne : présentation du matériel, vidéos montrant différents protocoles opératoires, schémas… En tout, l’équivalent de près de 300 heures de formation. L’enseignement peut ainsi se concentrer sur les manipulations. Des étudiants en fin de cursus sont parfois associés à la création des ressources, dont certaines sont commercialisées auprès d’autres établissements.

A Lyon-I, les futurs chirurgiens-dentistes ont même accès, depuis 2012, à une salle de simulation munie de vingt postes de travail : ils s’exercent sur une reproduction en 3D de la tête d’un patient, avec les mâchoires et les dents. Une caméra permet d’apprécier leur position et leur gestuelle, une autre d’évaluer la qualité de leur travail. Acquis aux Etats-Unis, ce dispositif est onéreux : 3 millions d’euros. « Mais c’est un outil de formation très efficace », assure Dominique Seux, doyen de la faculté d’odontologie lyonnaise.

Bien sûr, le numérique et Internet jouent un rôle croissant. Toutes les facultés disposent désormais d’une plate-forme intranet, sur laquelle l’étudiant peut consulter diverses « ressources » (éléments de cours, vidéos, évaluations, questionnaires…), aussi bien en classe que depuis son domicile. Des formules de classe inversée font leur apparition, notamment à Lyon-I : les étudiants reçoivent les documents sous format numérique et doivent s’en imprégner avant de venir en cours. Quelques facs, comme Paris-I, utilisent aussi le dispositif BYOD (Bring Your Own Device : « Apportez votre propre équipement »), qui permet aux étudiants de répondre à un questionnaire (QCM) pendant le cours par le biais de leur smartphone. Un bachelor Prothésiste dentaire numérique vient même de voir le jour, à l’initiative d’ORT France, réseau national d’établissements d’enseignement supérieur – une première en France.

« On évite le bachotage »

Les étudiants bénéficient d’un enseignement à la fois plus varié, plus interactif et plus concret. « Toutes ces innovations changent en profondeur leur manière d’apprendre. Ils sont désormais beaucoup plus actifs. On évite ainsi le bachotage », se félicite Dominique Seux. Ce renouveau de la pédagogie est aussi un puissant aiguillon pour toute la communauté enseignante. « Pour mettre en place un dispositif innovant, il faut travailler longuement en équipe, se former, évaluer les améliorations à apporter… Cela crée une dynamique collective, et le retour positif des étudiants nous encourage à persévérer », observe Sibylle Vital.

L’étudiant doit être à l’écoute du patient, répondre aux besoins spécifiques des personnes âgées, des enfants, des handicapés…

Reste un autre axe de changement : l’enseignement de l’odontologie met de plus en plus l’accent sur la dimension humaine du métier. Plus question d’apprendre seulement comment traiter une dent malade, l’étudiant doit être à l’écoute du patient, répondre aux besoins spécifiques des personnes âgées, des enfants, des handicapés… A Paris-Descartes, on travaille ainsi sur un e-portfolio de compétences, portant sur l’exercice de la profession. A Lyon-I, dans le cadre d’un module optionnel de quatrième année, les étudiants doivent réagir à diverses situations, parfois inattendues : ils sont filmés, et leur comportement est ensuite analysé. Dans la même logique, plusieurs facultés proposent des parcours ECOS (évaluation clinique objective structurée). Il s’agit de sortes de jeux de rôle dans lesquels les étudiants sont confrontés à des patients (dont le rôle est parfois joué par un acteur professionnel) et qui permettent d’évaluer leurs aptitudes au sens large – savoir-faire, mais aussi attitude et relationnel. Exemple : un patient mécontent parce que sa prothèse s’est fissurée…

Dans ce domaine, d’autres pays ont pris une longueur d’avance. Les Canadiens, notamment, ont construit tout leur enseignement autour de la notion de « patients experts », et intègrent davantage l’aspect humain à la formation. Mais les facs françaises commencent à rattraper leur retard. « Les cours ne suffisent plus, tranche Dominique Seux, Peu à peu, nous sommes en train d’évaluer les compétences de nos étudiants plus que leurs connaissances. »