Des grèves d’avertissement ont commencé dans toute l’Allemagne, lundi 8 janvier. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

L’année à peine entamée, le puissant syndicat allemand IG Metall a donné, lundi 8 janvier, le coup d’envoi d’un mouvement social qui s’annonce comme l’un des plus durs de ces dernières années en Allemagne.

Des grèves de courte durée ont commencé dans tout le pays, surtout dans le secteur automobile, pour soutenir les revendications sur les hausses des salaires et la réduction du temps de travail portées par ce syndicat, qui compte 2,4 millions d’adhérents et représente les intérêts de 3,9 millions de salariés de la branche métallurgique, regroupant l’industrie (Siemens, ThyssenKrupp), la sidérurgie, l’automobile (VW, Daimler, Porsche), l’électronique ou encore le textile.

Pour Isabelle Bourgeois, chercheuse associée au Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (CIRAC) et rédactrice en chef de la revue Regards sur l’économie allemande, ces revendications s’inscrivent dans la tradition « modernisatrice » d’IG Metall, mais s’expliquent aussi par le contexte politique de formation du gouvernement.

Pour quelles raisons IG Metall engage-t-il un bras de fer avec le patronat ?

Isabelle Bourgeois : Cela s’inscrit dans le cycle des négociations de branche. Les syndicats allemands sont des syndicats de branche qui, avec le patronat, sont les seuls habilités à fixer le montant des salaires et la durée du temps de travail. Le gouvernement n’a pas son mot à dire.

L’accord de branche, négocié pour une durée allant de dix-huit mois à deux ans, expirait le 31 décembre 2017 pour la métallurgie et l’électro-technique. Ces accords sont des contrats établis pour une durée déterminée, à échéance de laquelle représentants des salariés et patronat reprennent les négociations. Mais tant que cet accord est en cours, il y a une obligation de paix sociale et donc une interdiction de faire grève : c’est pourquoi les grèves ne commencent que maintenant.

Les désaccords sont relativement fréquents, même s’il arrive souvent que les négociations se passent sans aucun encombre. Cette année, les revendications sont particulièrement virulentes, et cela crée un blocage avec le patronat.

Quelles sont ces revendications, et sont-elles particulièrement ambitieuses ?

IG Metall veut 6 % de hausse de salaire dans la branche, ce qui est beaucoup trop pour le patronat, qui ne propose que 2 % de hausse. Habituellement, le syndicat propose le double du patronat et ils s’entendent pour un chiffre au milieu. Cette année, IG Metall fait une demande particulièrement forte, dans une branche où le niveau de salaire est déjà très bon.

Sa deuxième revendication, le passage, pour ceux qui le souhaitent, à une semaine vingt-huit heures pour une durée maximale de deux ans, est très sensée, mais intenable. Elle est, d’une part, séduisante, car elle engage la réflexion nécessaire sur la flexibilisation du temps de travail à l’heure du numérique, alors que les manières de produire et de travailler sont en train de changer. Elle permet de s’interroger sur la manière de flexibiliser selon les envies et les besoins de chaque salarié.

Mais IG Metall exige également que le salaire de ceux qui choisissent cette semaine à vingt-huit heures soit compensé, or cela est socialement injuste par rapport à tous les salariés qui ont choisi de travailler à temps réduit sous l’ancien accord et qui n’ont pas de compensation salariale. C’est l’argument du patronat pour refuser : c’est une mesure discriminatoire et anticonstitutionnelle.

Les propositions si « modernisatrices » sont-elles habituelles de la part d’IG Metall ?

C’est un syndicat modernisateur, très porteur en ce qui concerne la réflexion sur ce qu’est le travail et sur la manière dont il évolue. Avec sa revendication des vingt-huit heures, IG Metall essaye de moderniser le travail. Le syndicat partage cette analyse largement répandue en Allemagne que c’est une économie prospère qui permet le bien-être social.

Le syndicat avait obtenu le passage aux trente-cinq heures dans la branche en Allemagne de l’Ouest au début des années 1980, mais il avait aussi accepté, au début des années 2000, que 18 % des salariés de la branche travaillent quarante heures par semaine pour assurer la compétitivité des entreprises. Aujourd’hui, il estime que la compétitivité porte ses fruits et qu’il est possible d’accéder aux revendications salariales.

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Mais cette année, c’est surtout le contexte politique qui explique l’attitude d’IG Metall. Les négociations pour former un gouvernement sont en train de s’ouvrir entre la CDU [Union chrétienne-démocrate, parti d’Angela Merkel] et le SPD [Parti social-démocrate d’Allemagne]. Or, IG Metall, traditionnellement proche des idées social-démocrates, veut donner plus de force aux positions du SPD dans l’espace public. Par ailleurs, comme tous les syndicats allemands, il perd des adhérents, et est surtout un syndicat vieillissant. Avec sa revendication de la semaine à vingt-huit heures, il cherche aussi à recruter des adhérents plus jeunes, qui, plus que le salaire, souhaitent surtout maîtriser leur temps de travail.

IG Metall menace d’une grève nationale illimitée, est-ce envisageable ?

L’Allemagne n’a pas de culture du conflit. Le droit de grève y est très encadré : une grève ne peut intervenir qu’au moment de la renégociation des accords de branche, doit être limitée dans le temps, et une fois les revendications exprimées, les négociations reprennent. La grève illimitée est très rare, et difficile à engager. Les grèves d’avertissement, comme celle lancée lundi par IG Metall, font partie du rituel politique, il s’agit de « montrer les muscles » avant la négociation.

Toutefois, IG Metall ouvre cette année le bal des négociations de branche, et va rendre le bras de fer plus difficile qu’habituellement. Cela risque d’avoir des effets d’entraînement sur les syndicats des autres branches pour leurs futures négociations.