Jacques Brunel, sélectionneur du XV de France, et ses adjoints, lundi 8 janvier 2018, à Marcoussis. / MICHEL EULER / AP

Passez, muscade ! En son siège de Marcoussis (Essonne), la Fédération française de rugby (FFR) proposait deux rendez-vous « médias » en un, lundi 8 janvier. L’un à partir de 13 h 35, pour la première conférence de presse du nouveau staff de l’équipe de France ; l’autre, vers 18 heures, au sortir d’une réunion entre ledit staff et les entraîneurs des clubs du championnat de France.

Mais rien d’organisé, si ce n’est un simple tweet et un communiqué à la mi-journée, pour annoncer la principale décision du jour. Le comité directeur de la FFR l’avait validée le matin même : de 2018 à 2023, le groupe Altrad deviendra le sponsor maillot du XV de France. Les joueurs afficheront sur leur torse la marque de cette société spécialisée dans le matériel pour le bâtiment, propriété de l’homme d’affaires Mohed Altrad, par ailleurs président d’un club professionnel, le Montpellier Hérault Rugby (MHR).

Bernard Laporte a promis dans un tweet que le partenariat rapporterait « au moins 35 millions d’euros » sur cinq ans, le tout assorti de bonus selon les résultats sportifs, et toujours au bénéfice du « rugby amateur ». Croisé lundi entre deux escaliers, le président de la fédération n’a pas voulu s’arrêter pour en dire plus sur cet engagement. Sujet gênant.

L’appel d’offres était ouvert du 31 octobre au 16 novembre 2017. Deux semaines pour se décider sur un engagement de plusieurs dizaines de millions d’euros. A l’issue de la procédure, le groupe Altrad, déjà partenaire maillot du XV de France depuis mars 2017, était le seul candidat.

Pour ses détracteurs, ce partenariat s’annonce surtout riche en soupçons de conflits d’intérêts potentiels entre la FFR et le MHR. Au nom de tous les clubs du championnat, la Ligue nationale de rugby (LNR) a « voté contre cette attribution, qu’elle considère précipitée », précise-t-elle dans un communiqué publié lundi soir. Soucieuse de préserver « l’équité du Top 14 », la Ligue « a demandé en séance de différer toute décision tant que les garanties demandées […] n’étaient pas définies et validées conjointement par la FFR et la LNR. » En vain. Son président, Paul Goze, a voté contre, mais n’a pas été suivi par le comité directeur, acquis à la cause de Bernard Laporte.

Conseil élyséen

De fait, le contrat a été conclu sans même prendre en compte les recommandations adressées trois jours plus tôt par le comité d’éthique et de déontologie. Saisi par les clubs, cet organe paritaire composé de représentants de la FFR et de la LNR préconise la mise en place de « garde-fous pour garantir l’absence de toute possibilité de favoritisme ». Principalement pour « deux points précis pour lesquels la FFR intervient dans le championnat professionnel : la désignation des arbitres et l’intervention de la commission d’appel ».

Selon les informations de L’Equipe, même la présidence de la République aurait joint Bernard Laporte pour l’inviter à suivre ces recommandations. Celui-ci a préféré passer outre, tout en s’engageant lundi, sur Twitter, à mettre en place un dispositif de contrôle « dans les plus brefs délais ». Mohed Altrad a choisi le même réseau social pour communiquer en quelques mots et se féliciter de « contribuer au XV de France ». « Je m’exprimerai plus amplement prochainement », écrivait-il lundi après-midi.

Les relations entre les deux hommes alimentent la chronique extrasportive depuis déjà plusieurs mois. Au mois de juin 2017, Bernard Laporte aurait fait pression pour amoindrir les sanctions disciplinaires retenues contre Montpellier par la commission d’appel fédérale, selon des informations parues dans Le JDD deux mois plus tard.

« Pas évoqué » en réunion des entraîneurs

Depuis, Bernard Laporte a renoncé au contrat personnel d’image qu’il avait conclu en février 2017 avec la société Altrad. En revanche, les liens entre la FFR et le groupe Altrad n’ont jamais été rompus depuis la signature d’un premier contrat entre ces deux entités, en mars 2017 : le groupe Altrad remportait alors un premier appel d’offres pour devenir sponsor maillot jusqu’à la fin de l’année 2017, léguant sa place à un logo « Mondial 2023 » vantant la candidature française (finalement victorieuse) à l’organisation de la Coupe du monde dans cinq ans.

Au moment de présenter son staff à la presse, Jacques Brunel, lui, n’a pu éviter la question sur du lucratif nouveau contrat de la fédération. « Franchement je me mets dans ma bulle, j’ai trop de travail, trop de responsabilité par rapport aux résultats de l’équipe de France », a éludé le nouveau sélectionneur du XV de France, après le limogeage express de Guy Novès, il y a deux semaines à peine.

« On s’est un peu moins focalisé sur ces questions de marque lorsque Cap Gemini sponsorisait Biarritz et Grenoble », tente de relativiser le sélectionneur en évoquant le souvenir de Serge Kampf, ancien grand mécène du rugby français qui pourvoyait à la fois l’équipe de France et ces deux clubs.

Le nouveau contrat du XV de France avec le groupe Altrad, qui devient le sixième sponsor officiel de la FFR, « n’a pas été évoqué » lundi après-midi au cours des trois heures de réunion entre les entraîneurs du Top 14 et le staff de la sélection nationale, précise Fabien Galthié, manageur de Toulon. Une réunion pour laquelle presque tous les entraîneurs principaux avaient fait le déplacement à Marcoussis, hormis ceux d’Oyonnax, de Castres… et de Montpellier, actuellement en tête du championnat.