France Gall en concert au Zénith, à Paris, le 18 novembre 1987. / BERTRAND GUAY / AFP

Eté 1977. Anne a 16 ans, et est en voyage linguistique à Norwich, en Angleterre. Le 16 août, le disc-jockey du club où elle danse ce soir-là annonce la mort d’Elvis Presley, et inonde la piste d’un florilège de ses tubes. Anne et son petit groupe d’amis français restent de marbre, mais chantent sur un autre tube, qui les a suivis depuis la France : « 1, 2, 3, 4, musique ! » Elvis est mort, vive France Gall. « Nous chantions encore et encore dans notre langue, sous le regard étonné de nos hôtes », se souvient Anne, devenue conseillère en assurance dans la région parisienne.

Comme elle, de nombreux lecteurs de tous âges ont répondu à l’appel à témoignages du Monde.fr pour évoquer leur chanson préférée de France Gall, morte le 7 janvier à l’âge de 70 ans. Les souvenirs défilent. Emmanuelle, 57 ans, se revoit en train d’interpréter Ma déclaration lors de la fête de l’école : « La maîtresse m’avait choisie pour la chanter parce que j’avais la même coupe de cheveux que France Gall. »

Antoine, lui, se souvient qu’à 5 ans il tannait sa grand-mère pour écouter ses disques : « Je me mettais près de l’électrophone, sur le plancher du salon, et on écoutait “Sacré Charlemagne”, que je trouvais rigolote. »

Pour Amina, France Gall c’était avant tout « les karaokés interminables » du samedi soir : « Un grand moment d’amour partagé avec ma fille sur les rythmes de Gall et Berger. “Ella elle l’a” était notre tube incontournable ».

« La voix de France me consolait »

D’autres moments gais ressurgissent. Didier, retraité, se souvient de ce voyage à l’été 1982, quand il dirigeait un centre de vacances pour adolescents à Nanterre. « Nous revenions de La Seyne-sur-Mer, près de Toulon [Var]. On faisait une longue route en autocar. La radio passe “Il jouait du piano debout”. Comme un bloc soudé, plusieurs dizaines de jeunes ont aussitôt envahi l’allée du car et se sont époumonés sur le morceau en dansant. Il faisait très beau. Mes jeunes étaient heureux. »

Heureux, Pierre, 50 ans, l’était aussi lorsqu’il chantait “Viens je t’emmène” à tue-tête dans la voiture avec sa mère, venue le chercher à son retour de « colo ». « J’avais 10 ans. Cela a été le début d’une histoire d’amour pour France », raconte-t-il.

Le même titre a consolé Isabelle, trentenaire qui vit à Dakar (Sénégal), quand elle n’arrivait pas à se remettre d’une séparation et « restait sur son lit à pleurer en écoutant France Gall et Michel Berger » : « La voix de France me consolait. »

L’interprète à succès a aussi permis à Christophe, cadre dans la banque, de tuer l’ennui lors de ce long été passé en tête-à-tête avec sa grand-mère, chez elle. Un après-midi, il allume la télévision et tombe par hasard sur la diffusion d’un concert au Zénith. Révélation. Le duo a passé le reste des vacances à sillonner les routes du département en écoutant la cassette en boucle sur l’autoradio.

La chanteuse lui a aussi ouvert de nouveaux horizons. Avec “Cézanne peint”, il s’intéresse à ce peintre, qu’il « connaissait à peine », découvre ses tableaux, puis celui d’autres peintres. D’autres morceaux l’amènent à découvrir Tennessee Williams, Ella Fitzgerald ou encore Man Ray. « Sa musique m’a fait rêver et grandir, et m’a offert un de mes plus beaux souvenirs : l’été 1985 et tous ces kilomètres avalés avec ma grand-mère », se souvient-il.

« “Il jouait du piano debout” a rythmé ma vie d’adolescente »

Avec la mort de France Gall, Nathalie, elle, a vu « toutes ses années lycée s’envoler ». « “Il jouait du piano” debout a rythmé ma vie d’adolescente », confie la quinquagénaire. Le 33 tour de la chanteuse passe en boucle lors d’un été passé en compagnie de sa meilleure amie. « Il me rappelle beaucoup de confidences, de joie de vivre mais aussi un chagrin d’amour et des doutes sur l’avenir, car la mère de mon amie avait une grave maladie. Ce disque a résonné en nous très longtemps. »

De son côté, Aura, enseignante à Antibes, assure qu’elle « ne peut pas choisir qu’une seule de ses chansons tant elle a bercé mon enfance et mon adolescence ». Elle regrette aussi que la chanteuse, « une humaniste », ait été « trop cantonnée au rôle de muse, voire de potiche ».

Sa voix a accompagné des deuils

Ses morceaux ont aussi accompagné Frédéric, joueur de football de 29 ans, tout au long de son enfance au Sénégal : « C’était toujours la première cassette que l’on mettait dans le lecteur de la voiture lors de nos voyages en famille. » Il a fini par croiser la chanteuse par hasard un jour, près de Dakar, lorsqu’il avait 8 ans. « J’ai fredonné Babacar en observant maladroitement sa réaction. Elle m’a accompagnée a cappella avec un grand sourire. »

La voix de la chanteuse a aussi accompagné des deuils. Jeanne a écouté “Evidemment” après le décès de sa fille. Jean-Michel, dont c’est la chanson préférée, explique : « Elle raconte les bons moments de la vie, la joie, le bonheur, les amis… Et puis du jour au lendemain, tout s’arrête. On perd quelqu’un de cher. On continue à vivre, à rire, mais pas “comme avant”, comme elle le dit à la fin… » Jean-Jacques, lui, a longtemps fredonné “Si, maman si” après la perte de sa mère : « Cette chanson m’a permis d’avancer malgré tout. »

Pour Annabelle, la chanson “Résiste” est désormais attachée au souvenir de sa mère, morte d’un cancer il y a cinq ans. « Elle avait choisi cette chanson pour la cérémonie de crémation deux jours avant sa mort. Cela faisait dix-huit ans qu’elle résistait au cancer, qu’elle se battait jour après jour contre cette maladie. Depuis, je ne peux l’écouter sans pleurer ni sans penser à elle, et à la formidable leçon de courage qu’elle nous a laissée. »

« Résiste », un « hymne » et un « médicament à effet flash »

C’est cette chanson, “Résiste”, qui revient le plus dans les témoignages. Pour certains, elle est devenue un hymne. C’est le cas de Mathilde et de sa bande de copains, tous âgés de 25 ans. « C’est la chanson qui nous remotive, qui nous fait penser les uns aux autres, et qui rassemble tout le monde sur la piste lors des karaokés. Certains en ont même des tee-shirts ». « Résiste/Prouve que tu existes/Cherche ton bonheur partout, va/Refuse ce monde égoïste » : comme des milliers de fans, ils ont chanté maintes fois ces paroles, poing levé, à l’image de Sabine Azéma dans On connaît la chanson, d’Alain Resnais.

L’effet est souvent immédiat. « Dans les moments de doute, je la mets parfois très fort au bureau, c’est un médicament à effet flash, s’amuse Frédéric, 44 ans. Certaines chansons peuvent aider à se sortir du malheur, celle-ci redonne du souffle, l’envie de se bouger, de ne pas se dégonfler. » « Elle me sert régulièrement à rester debout, à m’affirmer, un leitmotiv combatif mais positif, renchérit Catherine. C’est plus qu’une chanson, pour moi. »

« Chacune des chansons de France Gall me va droit au cœur », confie Richard, retraité de l’éducation nationale. « Nous allons continuer à les chanter », assure-t-il.

Treize chansons de France Gall à écouter ou regarder d’une traite
Durée : 40:53