Logo du distributeur Leclerc. / JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Au moment où Emmanuel Macron était en Chine pour promouvoir l’agroalimentaire français, l’affaire des produits infantiles contaminés à la salmonelle a continué à prendre de l’ampleur. Après l’industriel Lactalis, responsable de la commercialisation de ses produits, c’est au tour du distributeur Leclerc de se retrouver dans la tourmente. Mardi 9 janvier, il a reconnu dans un communiqué avoir vendu des produits Lactalis concernés par le rappel de l’industriel du 21 décembre 2017.

Tout a commencé par le Tweet d’un client détectant un produit qui n’aurait plus du être en rayon dans un magasin E. Leclerc de Seclin (Nord). L’enseigne lance alors un audit et découvre que 984 produits non autorisés à la vente, car susceptibles de contenir des salmonelles, ont malgré tout été vendus à 782 clients. Même si ce chiffre est modeste, l’impact est fort pour l’enseigne, qui a bâti son discours de communication sur le combat pour les consommateurs.

« Comme le rappel de produits est tombé pendant le rush de la période des fêtes, où tous les magasins ont le nez dans les huîtres et le foie gras, l’information transmise aux magasins par une des centrales du groupe a dû passer à l’as », tente d’expliquer un concurrent. Cette découverte embarrasse l’ensemble du secteur de la grande distribution. « Ce genre de nouvelle n’est bonne pour personne, car ça laisse penser qu’il y a peut-être des produits contaminés qui tournent encore dans les magasins », estime un distributeur, qui rappelle qu’« en général les produits rappelés, sont remboursés ».

Vente de produits Lactalis : le PDG d’E.Leclerc s’excuse

Il s’agit d’une « défaillance inadmissible » selon les mots de Michel-Edouard Leclerc, PDG du groupe éponyme. La vente, par E.Leclerc, de produits Lactalis pourtant rappelés par l’industriel après la contamination de bébés par des salmonelles a suscité l’indignation et l’inquiétude des parents et des associations. « Personnes n’imaginait qu’il restait de tels produits en circulation. A titre personnel, je pensais que tout était nickel », a déclaré M. Leclerc au Parisien, le mercredi 10 janvier.

Le dirigeant de l’enseigne de grande distribution a expliqué avoir demandé un « état des lieux poussé » et s’être rendu compte que « 984 boîtes, soit 200 références, n’avaient pas été retirées malgré les rappels successifs. Elles ont été achetées par 782 clients ». Un « comité de crise » a été mis en place pour les contacter et a réussi à en joindre la moitié, a expliqué M. Leclerc, qui incrimine une « gestion humaine qui n’a pas suivi » pour expliquer ces ventes. « Nous assumons cette faille et nous nous en excusons auprès des parents. »

« A ma connaissance, il n’y a pas eu d’enfant malade », a-t-il cependant précisé, ajoutant qu’un numéro vert avait été mis en place pour les consommateurs.

Le numéro vert à contacter pour toute information sur les produits Lactalis vendus par E.Leclerc malgré leur rappel : 01 71 53 51 20.

Ce nouvel épisode risque encore d’accroître la méfiance des consommateurs

A la suite de cette annonce, d’autres distributeurs ont immédiatement vérifié que le retrait des boîtes de lait concernées avait bien été réalisé. « Tout a été fait chez nous, indique l’un d’eux. Mais il faut rester humble. Nous ne sommes malgré tout pas à l’abri d’une boîte restée dans un coin. »

Ce nouvel épisode risque encore d’accroître la méfiance des consommateurs vis-à-vis de la filière agroalimentaire. L’affaire avait débuté le 2 décembre 2017 par une alerte de Bercy en plein week-end. Après avoir constaté la survenue de cas de salmonellose chez des bébés ayant consommé des laits infantiles Lactalis, le ministère informait que l’entreprise de Mayenne avait procédé au retrait de 200 000 boîtes. Puis le ton est monté le 10 décembre lorsque Bercy a déclaré « que les mesures prises par l’entreprise n’étaient pas de nature à maîtriser le risque de contamination de produits destinés à l’alimentation d’enfants en bas âge ». Et alors que nouveaux cas de bébés contaminés étaient découverts.

Le gouvernement annonçait alors un retrait massif de produits, non seulement des laits mais aussi d’autres produits de nutrition infantile, soit 7 000 tonnes, et l’arrêt de la production. Un arrêté préfectoral, pris le 9 décembre, conditionne le redémarrage de l’usine à la mise en place de mesures correctives.

Une communication opaque

Le 20 décembre, Santé publique France estime désormais à 35 le nombre de nourrissons atteints pas la salmonellose. Le lendemain, Lactalis rappelle toute la production effectuée par l’usine de Craon (Mayenne), depuis le 15 février 2017. Ce qui porte le total des produits concernés par le retrait à environ 15 000 tonnes.

Mais la communication de Lactalis, groupe de la famille Besnier habitué à la discrétion, reste toujours aussi opaque. Son porte-parole, Michel Nalet, continue à ne reconnaître que deux analyses positives à la salmonelle dans l’environnement de l’usine. L’une en juillet 2017 sur un outil de nettoyage, l’autre en novembre sur du carrelage. Même si le groupe a précisé en décembre qu’« une contamination dispersée s’est installée dans [son] usine de Craon à la suite de travaux réalisés courant du premier semestre 2017 », la direction affirme que toutes les analyses faites « ont confirmé une absence de salmonelle dans les produits ».

Pourtant, dans l’arrêté préfectoral intimant l’ordre d’arrêt partiel de l’usine de Craon, publié le 29 décembre, on apprend que Lactalis a aussi mené à partir du 4 décembre des autocontrôles, sur des lots de produits prélevés dans les tours de séchage 1 et 2 et en conditionnement. Or, le groupe « a fait état par courriel en date du 8 décembre, de la suspicion de présence de salmonelle sur cinq lots ».

Des zones d’ombre du côté du gouvernement

Interrogé sur les volumes des produits faisant l’objet d’un rappel réceptionné par l’entreprise, M. Nalet répond : « Je ne sais pas. Je n’ai pas le détail. Plusieurs centaines de tonnes. » Il précise toutefois qu’ils sont stockés et n’ont pas été détruits.

Du côté du gouvernement, de nombreuses zones d’ombre persistent également. La quasi-absence de communication du ministère de l’agriculture ne peut que surprendre. C’est pourtant lui qui est chargé de l’agrément sanitaire européen de l’usine et s’est engagé à ce titre à l’inspecter tous les deux ans. Le Canard enchaîné, dans son édition du 3 janvier, a révélé qu’une inspection avait justement été réalisée le 5 septembre 2017. Le ministère explique qu’une inspection menée en décembre 2015 portait sur l’atelier de déshydratation des produits laitiers alors que celle de septembre 2017 ne concernait qu’un atelier de mélange à sec de céréales entré nouvellement en fonction. Dans les deux cas, les avis ont été favorables.

Des parents et l’UFC-Que choisir ont porté plainte. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris le 22 décembre. Elle permettra peut-être d’apporter quelques éclaircissements.