Emmanuel Macron et Xi Jinping à Pékin, le 9 janvier. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Emmanuel Macron a terminé, mercredi 10 janvier, sa première visite d’Etat en Chine. Dans un tchat avec les internautes, le correspondant du Monde à Pékin, Brice Pedroletti, a fait le point sur les enjeux et le bilan de cette rencontre.

CB : A part l’usine d’Areva pour le retraitement de déchets radioactifs, les autres contrats ont-ils quoi que ce soit d’exceptionnel ? Par ailleurs, quelle est la perception d’Emmanuel Macron par l’opinion publique chinoise ?

Brice Pedroletti : Non, les contrats n’ont rien d’exceptionnel, il y a beaucoup d’accords de coopération dans de nombreux domaines. Le contrat de l’usine de recyclage n’est pas signé encore. Toutefois, il devrait l’être d’ici six mois et porte sur 10 milliards d’euros. Emmanuel Macron a revendiqué qu’il n’était pas là pour faire des annonces chiffrées, mais pour accompagner, faire avancer des dossiers – au contraire du président américain, Donald Trump. On reproche souvent aux dirigeants occidentaux la diplomatie des contrats. M. Macron veut prendre ses distances avec cette dernière.

Sur la question de la perception de M. Macron, elle est plutôt positive car les Chinois sont friands de vedettes politiques. Les leurs sont ternes. Emmanuel Macron, c’est un spectacle, un homme jeune, brillant, avec une histoire de couple peu commune qui fascine.

Momo : La Chine va-t-elle devenir un partenaire stratégique de l’Etat français et investir dans des grands projets d’infrastructures dans l’Hexagone, comme c’est le cas au Royaume-Uni dans le nucléaire ? Dans ce cas, le transfert de technologies opéré contre des investissements favorise-t-il les grandes entreprises françaises de ces secteurs ou les fragilise-t-il ?

L’un des messages exprimés par le président est qu’il fallait définir un périmètre de domaines stratégiques à protéger, au niveau de la France et de l’Europe, et qu’il fallait une stratégie européenne collective et cohérente. La logique de M. Macron a été de dire que la Chine ne respecte pas ces pays qui ouvrent trop grand leurs portes. En même temps, on se rappelle le cas de l’aéroport de Toulouse, cédé en partie à un actionnaire chinois au sujet duquel subsistent des doutes en matière de probité. Cette opération, décidée par l’ancien ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, fut appliquée par Emmanuel Macron au moment où il a pris sa suite à Bercy. On peut se demander si c’était le bon choix.

M. Macron a rappelé que la France avait beaucoup plus investi en Chine que la Chine en France, donc les investissements chinois sont certainement bienvenus en France.

Lulu : Les dérives autoritaires du régime chinois risquent-elles d’entraîner une modification des relations sino-françaises, M. Macron étant très attaché au respect des droits de l’homme ?

Le caractère autoritaire, dictatorial du régime chinois fait partie des données de départ avec la Chine. Depuis Xi Jinping, on assiste, il est vrai, à un autoritarisme de plus en plus abusif. Voire une tentation totalitaire. La société civile est violentée, brutalisée, dans des proportions sous-estimées. M. Macron, s’il y est attaché, n’a pas pris le parti d’en faire un cheval de bataille. On est toujours sur la même ligne : la Chine est trop importante comme partenaire, comme marché. On parle de nos différences, mais sans la provoquer ni la fâcher.

Les voyages officiels dans le pays hôte ne sont pas, pour un chef d’Etat invité, le meilleur moment pour soulever des questions sensibles, comme le sort de la veuve du dissident Liu Xiaobo, placée en résidence surveillée. On a vu Emmanuel Macron être caustique avec MM. Poutine et Erdogan lors de leur venue en France. Attendons de voir si, à la faveur d’un cas particulier ou d’un événement, il ose dire les choses plus franchement à Xi Jinping.

Emmanuel et Brigitte Macron visitent le Centre Ullens pour l’art contemporain, à Pékin, le 9 janvier. / JEAN CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LEMONDE

Alexia : A M. Xi, comme au président égyptien Sissi, Macron a refusé de « donner des leçons » sur les droits de l’homme. Est-ce que vous pensez qu’en Chine, la stratégie d’en parler « en tête à tête » est vraiment plus efficace que d’en parler publiquement, comme le président français l’a fait valoir ?

Pour un premier voyage en Chine, il aurait été difficile d’en parler de manière très directe. En même temps, les Chinois ont longtemps eu l’habitude que les dirigeants étrangers s’expriment sur ce dossier face à leur presse quand ils étaient chez eux, c’était un peu un mal nécessaire de leur point de vue. L’ennui, c’est que la Chine est devenue tellement agressive que même ce genre de déclarations, qui n’avaient pas grande efficacité, est devenu rare. Mais moins on ose, plus on passe sous silence ces questions.

On se dit qu’il serait mieux pour les dirigeants occidentaux d’en parler chez eux, sans aucune retenue, quand un cas se pose : comme la mort de Liu Xiaobo, la condamnation de tel ou tel avocat. Mais ça aussi, ils osent de moins en moins le faire par peur des représailles. Dans le monde occidental, c’est Angela Merkel qui a pour l’instant été la plus active, la plus franche sur ces questions. Et ça paie en partie.

Autre tactique : la libération de l’artiste Ai Weiwei avait été obtenue en 2011 par une lettre conjointe des trois dirigeants européens, le Français, l’Allemand et l’Anglais. Ces actions communes devraient être plus fréquentes, elles peuvent avoir des résultats. Sinon, comme pour le dalaï-lama, la Chine punit le pays qui s’est « mal tenu » et privilégie ses rivaux, qui croient obtenir des avantages.

Célia : Le président Macron a-t-il évoqué la situation de la Corée du Nord ?

Oui, il en a parlé avec le président Xi et dans ses déclarations publiques. Le message qu’il a fait passer est que la France et la Chine ont des responsabilités, en tant que membres du Conseil de sécurité des Nations unies, en matière de contrôle de la prolifération nucléaire. Il a aussi affiché son soutien à la Chine dans la tâche qui lui incombe d’appliquer des sanctions, puisqu’elle est le plus gros partenaire de la Corée du Nord. Il s’est aussi félicité de la désescalade entre le Nord et le Sud par le sport, avec la participation de Pyongyang aux JO d’hiver de Pyeongchang, et a jeté plusieurs piques en direction de Donald Trump, très volatil sur cette question.

Nicki : Le fait qu’Emmanuel Macron a déclaré qu’il comptait revenir tous les ans en Chine ne reflète-t-il pas le déséquilibre entre ces deux nations ? Le président chinois a-t-il pour habitude de se déplacer à l’étranger ?

M. Xi s’est beaucoup déplacé durant son premier mandat de cinq ans. On peut imaginer qu’il aille une fois par an en Europe (souvent dans plusieurs pays), mais pas une fois par an en France. Ce n’est pas forcément un déséquilibre. Sous François Hollande, le principe avait été d’alterner. Cela avait été plus ou moins tenu, grâce aux sommets (COP21, G20). Angela Merkel se rend une fois par an en Chine – l’un des meilleurs clients de l’Allemagne. Il faut voir si, pour M. Macron, le jeu en vaut la chandelle. Il va peut-être s’apercevoir qu’il lui faudrait aussi soigner d’autres relations en Asie, comme avec le Japon, le Vietnam, l’Inde.

AM : D’Emmanuel Macron ou de Xi Jinping, qui avait le plus à gagner dans cette rencontre en termes d’image ?

Xi Jinping n’avait pas beaucoup à perdre, et n’a rien gagné : il est égal à lui-même, il assume son autoritarisme, son style de dirigeant communiste qui ne sort pas du cadre – d’ailleurs, il avait fait un peu plus d’efforts face à M. Obama pour apparaître dans le coup. Emmanuel Macron a plutôt bien réussi son show, dirait-on, avec des discours très inspirés, très riches de sens. L’idée d’offrir à la Chine un cheval de la garde républicaine est aussi assez forte, elle ne laisse personne indifférent, surtout quand on pense à la diplomatie du panda que Pékin utilise pour entretenir sa proximité avec des pays amis.