Le 5 juin 2014, l’activiste Iliana Zhdanova s’était dévêtue au musée Grévin à Paris, avant de s’en prendre à une statue de cire du président russe, Vladimir Poutine. / ERIC FEFERBERG / AFP

Le fait pour une femme de montrer ses seins dans un lieu public constitue-t-il nécessairement un délit ? Pour la Cour de cassation, la question ne fait pas un pli. Dans un arrêt rendu mercredi 10 janvier, la plus haute juridiction considère qu’une militante des Femen, qui avait dévoilé le slogan « Kill Putin » sur sa poitrine en 2014, s’est rendue coupable d’« exhibition sexuelle ».

Le 5 juin 2014, l’activiste Iliana Zhdanova s’était présentée habillée au musée Grévin à Paris, dans la salle où sont rassemblées les statues de cire des chefs d’Etat. La Cour de cassation raconte la suite : « Se dévêtant le haut du corps, sa poitrine étant nue, laissant apparaître l’inscription Kill Putin”, la prévenue a fait tomber la statue du président russe, M. Vladimir Poutine, dans laquelle elle a planté à plusieurs reprises un pieu métallique partiellement peint en rouge, en déclarant Fuck dictator, Fuck Vladimir Poutine ».

Iliana Zhdanova avait été condamnée en première instance, le 15 octobre 2014, pour « dégradation de biens » et « exhibition sexuelle », une première dans l’histoire de son mouvement. Elle avait ensuite été relaxée en appel de ce deuxième chef, la cour estimant que « l’exposition du torse nu d’une femme à la vue d’autrui en dehors de tout élément intentionnel de nature sexuelle » ne peut être considéré comme de l’exhibition à partir du moment où « la poitrine dénudée » porte un message écrit manifestant une « expression », qu’elle soit politique ou artistique, « en dehors de toute connotation sexuelle ».

Un « arrêt d’un autre temps »

Le parquet général avait aussitôt formé un pourvoi devant la Cour de cassation, qui vient donc de casser l’arrêt de la cour d’appel. La juridiction suprême considère que les motivations politiques invoquées par la prévenue sont « sans effet sur les éléments constitutifs de l’infraction ». La jeune femme ayant « exhibé volontairement sa poitrine dans un musée, lieu ouvert au public », elle s’exposerait tout naturellement à la peine prévue par l’article 222-32 du code pénal.

De fait, le code pénal ne décrit pas précisément l’exhibition sexuelle, se contentant de préciser :

« L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

L’interprétation de la nature même de l’infraction relève donc de la jurisprudence. Pour les hommes, on retiendra l’exposition des parties génitales, pour les femmes, celle du sexe et de la poitrine. Quant aux lieux publics concernés, il y a des exceptions : une femme topless sur une plage pourra ainsi échapper à la condamnation, en vertu des arrêtés municipaux, un banc de sable pouvant être considéré comme propice à l’exposition d’un sein.

L’avocate de la militante, Me Marie Dosé, a vigoureusement réagi par communiqué à cette décision :

« Cet arrêt d’un autre temps, complètement indifférent aux réalités, conduit à rendre punissable toute femme qui déciderait de se servir de sa poitrine pour porter un message artistique ou politique. Un homme pourrait donc inscrire sur son torse n’importe quel message et se montrer ainsi en public sans être poursuivi pénalement, tandis qu’une femme qui adopterait le même comportement dans les mêmes circonstances resterait punissable. »

« A un moment où le corps des femmes est exhibé à outrance à des fins publicitaires et commerciales, le fait que la plus haute juridiction se complaise dans un conservatisme attentatoire aux libertés fondamentales d’expression et de libre disposition de son corps doit être dénoncé », poursuit l’avocate, qui se dit prête à saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, « puisque les hommes et les femmes ne sont pas égaux face à cette infraction », ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme.