Miniaturisés et isolés, les moteurs cachés dans les vélos de course des tricheurs sont devenus quasiment silencieux. Mais pas au point de faire taire la rumeur de l’utilisation de ces dispositifs de fraude technologique dans le peloton professionnel, relancée en cette intersaison cycliste par la publication d’un livre et par une enquête judiciaire.

Cette dernière, révélée par Le Canard enchaîné du mercredi 20 décembre et confirmée depuis au Monde, est menée, au moins depuis l’été 2017, par des enquêteurs spécialisés dans les infractions financières, sous la direction du parquet national financier. Faute d’inscription d’un délit spécifique dans la loi française pour la fraude technologique, qui n’est pas associée au dopage, les gendarmes vont devoir prouver qu’il y a eu, de la part des coureurs professionnels ciblés, escroquerie ou tentative d’escroquerie. Ces faits sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Selon Le Canard enchaîné, les enquêteurs s’interrogent aussi sur le rôle qu’auraient joué « les hautes instances du cyclisme », à savoir l’Union cycliste internationale (UCI), dans cette escroquerie. Elu à la présidence de la fédération internationale en septembre 2017, le Français David Lappartient a immédiatement écarté le responsable de la lutte contre la fraude technologique, l’Anglais Mark Barfield.

Il l’a remplacé par l’ancien professionnel français Jean-Christophe Péraud (deuxième du Tour de France 2014), qui a déjà rencontré des ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique, de l’institut Fraunhofer en Allemagne ou des fabricants de machines à rayons X. Interrogé par Le Monde début décembre, le président de l’UCI affirmait déjà que la méthode de détection par résonance magnétique serait complétée par le passage des vélos aux rayons X et le démontage physique de certaines machines.

De la taille d’une clé USB

Cette agitation doit beaucoup à l’activisme d’un homme, qui se présente comme l’inventeur des moteurs cachés dans les vélos : le Hongrois Istvan Varjas. Il est au cœur d’un livre qui paraît mercredi 10 janvier, intitulé « Rouler plus vite que la mort » (éd. Grasset), dans lequel il dit explicitement ce qu’il laissait entendre il y a un an au Monde, qui l’avait rencontré en Hongrie : Lance Armstrong pourrait bien avoir été, à l’insu de l’inventeur, le premier utilisateur d’un vélo à moteur.

L’auteur, le journaliste de L’Equipe Philippe Brunel, court après les moteurs cachés depuis 2010. « Cette histoire m’est tombée dessus, je ne l’ai pas cherchée », s’amuse la plume de la rubrique cyclisme du quotidien sportif, qui se dit observateur romantique plutôt qu’enquêteur. Le voilà toutefois explorant la conjecture la plus folle dans l’histoire d’un sport qui s’est pourtant habitué au paranormal.

La thèse : en septembre 1998, Varjas, décrit comme aussi génial pour ses inventions que robuste sur un vélo, met au point, après des années de développement, un moteur discret, de la taille d’une clé USB, capable de fournir 140 watts pendant cinq minutes. Suffisant pour produire, en montagne, l’effort qui vous offre un Tour de France - ou sept. Pour peu que son propriétaire soit déjà doté de l’arsenal chimique en vogue à l’époque – EPO notamment –, comme c’était le cas de Lance Armstrong, depuis privé de ses sept victoires pour dopage.

A la fin de l’année 1998, poursuit Varjas, un ami le persuade de céder l’exclusivité de son invention à quelqu’un qu’il ne connaît pas, pour une somme de 300 000 dollars versée en liquide. Deux ans plus tard, il s’en verra verser 2 millions supplémentaires en quatre fois, sur un compte offshore. L’ami, Paride Cordoni, grenouille dans le milieu du cyclisme de Toscane, petites affaires, petites équipes. Il est mort depuis. Il détenait peut-être, estime Philippe Brunel, la vérité de cette histoire.

« Rien qui épuise le mystère »

En l’absence de preuves, le journaliste se contente de juxtaposer les vies de Varjas et d’Armstrong. Avec le Hongrois, il relève les troublantes concordances de dates, la façon métronomique de grimper de l’Américain, sans effort apparent ni rupture de rythme, s’étonne de la géométrie d’un cadre Trek utilisé par Armstrong, propice à y dissimuler un moteur.

Mais Philippe Brunel, comme avant lui les journalistes de la chaîne américaine CBS, est contraint de s’en tenir là. « Je n’ai recueilli qu’un faisceau de faits convergents. Rien qui épuise le mystère », admet le journaliste.

Les propos comme les compétences de l’ingénieur sont soumis à caution, comme nous l’avions remarqué durant notre enquête en 2017, durant laquelle plusieurs interlocuteurs de M. Varjas avaient mis en doute son honnêteté.

Les policiers du FBI, qui ont longuement interrogé Istvan Varjas dans le cadre d’une enquête ouverte aux Etats-Unis, sauront-ils y voir plus clair ? Et trouver un témoin qui, dix-huit ans après l’escroquerie présumée, incrimine le cycliste texan ? Selon Philippe Brunel, la machination aurait pu être ourdie avec la seule complicité de Johan Bruyneel, manager historique et fidèle de Lance Armstrong.

Le Texan, qui n’a pas été tenu au courant du livre par l’auteur, n’a pas menacé Grasset comme il avait menacé CBS, qui avait édulcoré son enquête en conséquence. Interrogé par Le Monde, il s’est contenté de répondre par une pirouette :

« J’ai regardé mon calendrier, et nous ne sommes pas le 1er avril ! »