Film sur Arte à 20 h 55

Ma vie avec Liberace (Matt Damon - Michael Douglas) Bande Annonce VOST
Durée : 02:03

Difficile de concevoir, depuis la France, ce que fut, aux Etats-Unis, le phénomène Liberace. Ce pianiste de music-hall né à Las Vegas en 1919 est devenu, avec l’avènement de la télévision dans les années 1950, une des stars du show-business les plus célèbres de son pays. Ses prestations étaient de sensationnels one-man-show, d’un mauvais goût extravagant, où sa musique (Strauss ou Chopin remaniés à la sauce boogie-woogie) comptait autant que les sketchs et les blagues dont il pimentait ses interprétations – un mash up, en quelque sorte, de Richard Clayderman et du pianiste-rappeur-comédien Chilly Gonzales.

Recrutant le gros de son public chez les grands-mères de la classe moyenne américaine, Liberace ravissait aussi les gays, qui ont fait de lui une de leurs flamboyantes icônes. L’homme n’a jamais assumé publiquement son homosexualité, mais la manière qu’il avait de s’approprier le mauvais goût américain en le portant à un degré de saturation absolu était en soi un geste de subversion.

Que Steven Soderbergh ait décidé de consacrer un biopic à cette figure de la culture pop n’est pas surprenant : le cinéaste américain a toujours envisagé ses personnages comme des stratèges aux prises avec leur existence.

Une pure machine spectaculaire

Epousant avec une jubilation communicative la passion de son héros pour le rococo, son aspiration à devenir une pure machine spectaculaire, éternellement jeune, il met en scène la première moitié de son film (la meilleure, la plus folle, la plus drôle) comme une interminable surenchère d’objets kitsch dont l’accumulation, dans sa villa californienne, forge le royaume et, partant, la personnalité de Liberace : chandeliers en cristal, statues grecques, peintures chinoises, tapis persans, jacuzzi à poignées en or, caniches, pierreries, fourrures, bagues monumentales, slips à strass…

« C’est le royaume de Louis II ! », résume un garçon à l’attention de Scott Thorson (Matt Damon), qui devient, en 1975, le protégé du pianiste, et dont les Mémoires ont inspiré ce film. « Mais c’est qui Louis II ? », demande Scott. « Louis II ? C’est le Liberace de la Bavière ! », renvoie l’autre dans une de ces volées claquantes qui font la saveur du film.

Michael Douglas incarne le chanteur Liberace. / HBO/ARTE

Le choix de Michael Douglas pour jouer Liberace s’avère parfait. L’acteur, qui a si bien incarné le mâle hétérosexuel dominant dans les années 1980 et 1990, distille un mélange d’appétit de vivre, d’humour et de provocation qui s’accordent à l’esprit du film. Face à lui, Matt Damon est plus effacé qu’à son habitude pour incarner ce jeune Adonis (comme le surnomme Liberace), orphelin de naissance, qui entre dans la vie de la star à 17 ans. Inondé de bijoux, de vêtements, de voitures, il est happé par ce vieil amant qui lui promet de l’adopter, lui impose des opérations de chirurgie esthétique destinées à accentuer leur ressemblance physique

La deuxième partie, qui voit se détériorer la relation entre les deux personnages, est plus attendue. L’humour gay, superficiel et méchant, qui irriguait le film, cède le pas aux passions tristes de la jalousie et du ressentiment. La mise en scène efficace de Soderbergh maintient le film à flot. Mais comme souvent chez ce styliste froid, ce qui devrait être émouvant ne l’est pas.

A l’image de Las Vegas, à l’image d’Hollywood, Liberace apparaît comme une créature séduisante et boursouflée, narcissique et vampirique, dont le vernis naïf dissimule mal une noirceur sans fond.

Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh. Avec Michael Douglas, Matt Damon (EU, 2013, 115 min).