Des jeunes médecins, qui voulaient manifester à Alger contre leurs mauvaises conditions de travail, ont été blessés par les forces de l’ordre. (Image d’archive). / ZOHRA BENSEMRA/REUTERS

Dimanche 7 janvier, des dizaines de parapluies sont serrés les uns contre les autres. En haut de l’escalier qui surplombe la cour de la faculté de médecine d’Alger, un jeune homme annonce que les médecins ne se présenteront pas aux examens. « C’est du jamais-vu », dit Saïd (les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés), un pédiatre venu de Constantine.

Les évaluations de fin de doctorat pour les médecins résidents (l’équivalent des internes dans le système français) auraient dû débuter aujourd’hui. Mais, quelques jours plus tôt, des jeunes médecins, qui voulaient manifester à Alger contre leurs mauvaises conditions de travail, ont été blessés par les forces de l’ordre. Résultat : la mobilisation qui durait depuis deux mois s’est encore accentuée.

A l’intérieur de la faculté, dans un amphithéâtre aux longs bancs de bois foncé, une vingtaine de médecins s’agitent autour d’un ordinateur. Tous sont membres du Collectif autonome des médecins résidents algériens. Cheveux bruns, lunettes rondes, Zahra Hafiri tente de finir de rédiger le communiqué du collectif, après l’annonce du boycottage des premières épreuves du diplôme. « La situation est devenue insupportable, nous voulons la fin du service civil obligatoire, résume-t-elle. Vous croyez qu’on fait grève parce que ça nous fait plaisir ? »

« On doit se débrouiller »

Depuis novembre 2017, les résidents n’assurent en effet plus que les urgences. Ils ont été reçus par le ministre de la santé. « La réunion a duré quinze minutes, et on n’a pas eu la parole », raconte, amer, Hocine Bentaleb, un autre membre du collectif. Les médecins quittent l’amphithéâtre et annoncent la tenue d’une manifestation à Oran deux jours plus tard.

Le 9 janvier, ceux qui n’ont pas pu faire le déplacement jusqu’à la ville portuaire située au nord-ouest du pays se rassemblent dans la cour de l’hôpital Mustapha-Pacha à Alger. Meriem, Sabrina et Anissa ont les yeux rivés sur leur téléphone, où elles font défiler les premières photos publiées sur les réseaux sociaux par leurs collègues partis à Oran. « J’ai fait des gardes entières sans tensiomètre. Ça signifie que je suis incapable d’évaluer une urgence. Depuis des mois, on n’a plus de médicaments pour les urgences vitales. On doit se débrouiller », raconte Meriem, 28 ans, résidente en cardiologie.

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« Se débrouiller », cela veut dire faire appel à des dons de particuliers. « On récupère les dons, on les cache dans nos casiers, et quand un malade en a besoin, on lui donne », explique Sabrina. Anissa renchérit : « A l’hôpital, les patients ne sont pas traités avec dignité. Les box sont sales, les lits cassés, mais c’est moi, médecin, qui suis face au patient, et c’est moi qui prends ! » Le cortège se met en marche et tourne au sein de l’enceinte de l’hôpital pour éviter une nouvelle confrontation avec la police antiémeute présente aux abords du bâtiment. La foule scande : « Dites aux citoyens, on n’a pas les moyens ! »

Pancartes en main, Rym et Walid, 25 ans, étudiants en septième année de médecine, sont venus soutenir leurs aînés. « Le service civil, c’est un chantage pour le médecin. On veut faire croire au peuple qu’il y a la santé pour tous. Si le service civil n’était plus obligatoire, on verrait tout de suite où sont les défaillances, et ça obligerait l’Etat à investir », assure Walid.

« On est là parce qu’on refuse que les médecins se fassent tabasser par des policiers », explique Feroudja Yahiatene, professeur en anesthésie-réanimation

Dans le rassemblement du mardi 9 janvier, il y a aussi beaucoup d’anciens résidents, qui s’étaient déjà mobilisés en 2011 pour des revendications similaires. Houssam Boutine, chirurgien, énumère les patients qu’il n’a pas pu prendre en charge dans l’hôpital du centre du pays où il a été envoyé : « J’ai fait passer le temps jusqu’à ce que la période obligatoire se termine, puis j’ai démissionné et je suis rentré à Alger. Ma présence n’a pas changé grand-chose pour les habitants de la région. »

« Quatorze nuits de garde d’affilée »

Quelques mètres plus loin, derrière une banderole, les professeurs et enseignants ont rejoint le rassemblement. « On est là parce qu’on refuse que les médecins se fassent tabasser par des policiers, explique Feroudja Yahiatene, professeur en anesthésie-réanimation. Je suis contre la suppression du service civil, mais il ne faut pas non plus balancer des jeunes médecins dans le Sud comme ça. »

Les médecins résidents savent bien que leur demander de supprimer le service civil obligatoire ne passe pas aux yeux de l’opinion publique. Kahina, pédiatre libérale, a fermé son cabinet pour venir manifester. « Le service civil, c’est une arnaque pour les populations du Sud. J’ai vu mon mari, chirurgien, faire quatorze nuits de garde d’affilée. C’est stressant, et on finit par faire des erreurs. On n’avait pas de logement de fonction alors que nous avions un enfant et que j’étais enceinte. Je suis restée au chômage le temps qu’il fasse son service civil, parce qu’il n’y avait pas de poste pour moi dans la même région que lui. »

Nabila, une autre médecin libérale, est venue après avoir lu des dizaines de témoignages sur les réseaux sociaux : « Ils n’ont pas de logement de fonction, ils sont déconsidérés par l’administration, ils sont très loin de leur famille, et ils ne peuvent pas faire leur métier, c’est-à-dire soigner. C’est normal qu’ils soient à bout, non ? » Kahina soupire : « On aurait dû partir à l’étranger quand on le pouvait encore. »