Stephen Curry, lors du match face à Denver, le 8 janvier. / BEN MARGOT / AP

Après son tir lancé derrière la ligne des trois points, Steve fait semblant de se replacer, sans suivre la trajectoire de son tir. Le ballon ne tombera pas dedans cette fois-ci, mais ce jeune basketteur des U15 (moins de 15 ans) de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) va continuer d’essayer, jusqu’à ce qu’il réussisse et puisse le montrer à tous ses coéquipiers. Son influence est facilement traçable : les Etats-Unis et Stephen Curry, l’un des joueurs NBA les plus populaires du moment, MVP des saisons 2015 et 2016, connu pour sa folle réussite et ses tirs venus d’ailleurs.

Le meneur des Golden State Warriors est une référence pour de nombreux joueurs de Saint-Maur-des-Fossés, mais aussi à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), la formation de référence en France pour les jeunes basketteurs. Louis Lesmond, 15 ans, ne cache d’ailleurs pas son inspiration pour ses tirs lointains.

« Curry, c’est le meilleur à trois points. Il déclenche très vite. Sa gestuelle est presque parfaite, et j’essaie de la reproduire. » « C’est comme la mode, dès qu’il y a une nouveauté, on essaie de la copier », résume Arnaud Fillin, l’entraîneur, des U15 de Saint-Maur-des-Fossés. « Aujourd’hui, c’est Curry et ses tirs lointains. On voit certains joueurs faire ça. C’est quelque chose qu’on ne voyait pas avant. »

« Une génération marquée par l’image »

Pendant des années, les jeunes basketteurs se sont inspirés des passes de Magic Johnson, des tirs à reculons (fadeaways) de Michael Jordan, ou des dribbles de Tim Hardaway. La différence aujourd’hui, c’est YouTube.

« Les joueurs ont de plus en plus accès aux vidéos, regardent de plus en plus de matchs, et surtout de montages : des highlights, nous explique, dans son bureau de l’Insep, Bernard Faure, entraîneur des U16 du centre fédéral. Evidemment, c’est une génération marquée par l’image. C’est une richesse inouïe d’avoir accès à ça. »

Lors de leur entraînement, les U15 de Saint-Maur-des-Fossés s’amusent à tenter des tirs lointains, ou des jellys, « des double-pas, où une fois en l’air, on tape une pose, avant de finir par un finger-roll ». C’est le nouveau geste préféré de Malek, rendu célèbre par un jeune basketteur, pas encore en NBA, mais déjà populaire sur YouTube.

Pourtant, si ces gestes les aident dans leur créativité sur les parquets, Arnaud Fillin aimerait bien ne pas voir ses jeunes joueurs tout recopier sans réfléchir.

« La semaine dernière, j’ai vu un joueur s’entraîner aux lancers-francs. Je l’observais de loin, et je suis allé le voir pour essayer de comprendre pourquoi il tirait de cette façon. On voyait que son geste n’était pas naturel. Je savais que d’habitude, il ne shootait pas comme ça. Il m’a dit que c’était son nouveau tir, parce que LeBron James faisait comme ça. Je lui ai répondu que James était en NBA et que lui était à Saint-Maur-des-Fossés. »

Inspirations à double tranchant

Autant dire, comme l’explique Bernard Faure, que toutes ces inspirations sont à double tranchant.

« Ça se résume à regarder les choses réussies de gens dont ils ne mesurent pas toujours le travail réalisé en amont. Ils veulent prendre des raccourcis. Avant de faire tout ça, ils doivent réaliser qu’il y a tout un apprentissage. Comme à l’école avant de passer à la leçon numéro 20, il faut déjà assimiler la première, la deuxième… »

Deux petits problèmes d’ailleurs semblent surgir avec ces jeunes joueurs. Physiquement d’abord, puisqu’il leur est souvent compliqué de s’identifier à tous les pros, notamment ceux possédant un physique hors norme. Résultat, à leur niveau régional, « personne n’aimerait jouer pivot », résume Malek. Ce poste est pourtant clé au sein d’une équipe de basket, mais moins mis en valeur par les images.

« De manière générale, c’est aux profils de joueurs extérieurs qu’ils s’identifient, plus qu’aux intérieurs. Ils aiment aussi les hommes à tout faire : les LeBron James, Kevin Durant, Klay Thompson, Kobe Bryant. On remarque aussi que les grandes marques, comme Adidas ou Nike, mettent en avant surtout ces extérieurs », rappelle Arnaud Fillin.

Bernard Faure note d’ailleurs que ses joueurs intérieurs ont de plus en plus tendance à vouloir se comporter comme des extérieurs, ce vers quoi tendent certains désormais en NBA. « C’est vrai que ce n’est pas spectaculaire, mais les intérieurs doivent comprendre que le côté spectaculaire, ce n’est pas tout dans le basket. Les intérieurs “à l’ancienne”, c’est précieux. Notre devoir, en tant que coachs, c’est de valoriser ce travail de l’ombre. De moins en moins veulent le faire, comme la défense. »

Et la défense ?

S’il en existe, les vidéos sur le sujet sont moins consultées, moins influentes sur les jeunes joueurs. « Tout le monde regarde les highlights, mais est-ce qu’un jeune joueur va chercher un montage sur un gros défenseur ? Je ne suis pas sûr », dit-il. Même en défense, les joueurs cherchent le côté spectaculaire, explique Arnaud Fillin. Et forcément, le geste le plus spectaculaire, c’est le contre.

« C’est le dernier geste défensif. Aller contrer le ballon avec force et puissance, pour exciter la foule. Avoir le timing parfait pour aller chercher le joueur au bon moment. On sait que c’est spectaculaire. Et c’est le type de geste qu’ils aiment reproduire à cet âge-là. »

La solution ? Concilier le spectaculaire et l’utile. Parce qu’il n’est pas question d’empêcher ces joueurs de tenter des choses, plutôt de les guider à partir de ce qu’ils admirent et les amener à reproduire ces gestes au bon endroit et au bon moment. Alan Brun, le conseiller technique fédéral de la ligue du Limousin est d’ailleurs persuadé des bénéfices de ce mimétisme.

« Quand ils veulent jouer comme Curry, ils sont obligés de beaucoup travailler parce qu’il y a une vraie aisance technique autour du jeu d’écrans, dans le dribble avant un tir. Il y a un vrai travail des fondamentaux. » Il faut cependant les aider à aller vers le geste juste.

« Le mimétisme, c’est quelque chose qui peut les aider, conclut Bernard Faure. Il faut simplement qu’ils soient accompagnés, et qu’ils ne pensent pas que ça se fait en un claquement de doigts. Quand Curry shoote, est-ce qu’ils regardent si le ballon rentre, ou comment il s’est arrêté, ses appuis, son coude quand le ballon part de ses mains ? Il faut les guider, parce que je pense qu’ils ne regardent pas forcément les bonnes choses. »

Le travail des entraîneurs et des éducateurs est donc primordial. Que ce soit pour espérer devenir professionnel ou tout simplement réussir à s’amuser sur les parquets un peu partout en France.