Des produits Lactalis produits par l’usine Celia de Craon (Mayenne) et qui auraient dû être retirés de la vente ont été retrouvés dans les magasins des enseignes Super U, Carrefour, Auchan, Casino et Leclerc. / AFP

Jeudi 11 janvier, le ministre de l’économie Bruno Lemaire a qualifié la situation de « grave », ayant « donné lieu à des dysfonctionnements inacceptables qui devront être sanctionnés ». Il a révélé que l’enquête menée depuis le 26 décembre − soit après la date de retrait des produits concernés − par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans 2 500 établissements, a montré que 91 d’entre eux « détenaient des boîtes qu’ils auraient dû retirer : 30 grandes surfaces, 44 pharmacies, 2 crèches, 12 hôpitaux et 3 grossistes. Des boîtes qui ont immédiatement été retirées. »

Le ministre a annoncé qu’une nouvelle vague d’investigations sera menée dans 2 500 établissements dès la semaine prochaine par les services de la DGCCRF.

  • Lactalis, « entreprise défaillante »

Bruno Lemaire a mis en avant, jeudi, la faute de Lactalis dans la responsabilité de la crise, indiquant que l’affaire était entre les mains de la justice. Le gouvernement a dû « se substituer à une entreprise défaillante » en prenant un arrêté, le 9 décembre, pour suspendre et rappeler plus de 600 lots de lait infantile, a souligné M. Lemaire. Ceci « faute de réponses suffisantes de la part du groupe Lactalis » et « d’accord sur le volume des lots à retirer et sur la date de production des lots », lors d’un entretien avec le groupe, le 9 décembre. « Du 11 au 13 décembre, la DGCCRF a vérifié les fichiers transmis par Lactalis, et leur examen a montré des incohérences et des lots manquants, a relaté le ministre. Nous avons saisi Lactalis pour qu’ils nous envoient des fichiers complets. Ils ont alors identifié que 5 lots étaient manquants. »

Emmanuel Macron, lui, a assuré jeudi que « des sanctions » seraient « prises », si « des pratiques inacceptables » étaient avérées. « Oui, l’Etat français est en mesure d’assurer la sécurité alimentaire », a en outre affirmé M. Macron au cours d’une conférence de presse commune avec le chef du gouvernement italien, Paolo Gentiloni.

  • La responsabilité des distributeurs

Le scandale sanitaire et industriel a pris de l’ampleur cette semaine après les révélations de l’enseigne Leclerc qui a annoncé, mardi 9 janvier, avoir retrouvé dans ses circuits de distribution 984 produits non autorisés à la vente et en avoir vendu à 782 clients. L’ensemble des acteurs du secteur a, du coup, déclenché des investigations approfondies pour déceler si chez eux toutes les procédures avaient bien été respectées et les produits retirés.

Plusieurs distributeurs ont reconnu, mercredi, avoir découvert des failles dans leur dispositif de retrait des laits infantiles fabriqués par Lactalis rappelés pour cause de salmonelle. Chez Carrefour, pour lequel l’usine fabriquait aussi sa marque de distributeur, 434 produits ont été vendus après le rappel, 52 chez Auchan dans 28 magasins, et 384 chez Système U : « 352 produits retrouvés dans les hypermarchés Géant, les supermarchés Casino et les magasins de proximité, 11 dans les Franprix, malgré l’application stricte du rappel de produits formulé par Lactalis en lien avec les autorités sanitaires », a reconnu, jeudi, un porte-parole du groupe Casino, à l’issue de nouvelles investigations en interne.

Monoprix qui n’a pas encore communiqué indique « être sur des touts petits chiffres ». Chez Intermarché, des investigations étaient encore en cours. Son président, Thierry Cotillard a indiqué, mercredi à l’AFP n’avoir « jamais vu une telle confusion de la part d’un fournisseur quant à la gestion d’un retrait rappel », allant jusqu’à qualifier d’« amateur » la gestion de Lactalis. Il a annoncé que son groupe allait arrêter « définitivement » de commercialiser des laits infantiles Lactalis de la marque Milumel, après la découverte de « deux produits qui nous ont été remontés par deux consommatrices ».

Pour retrouver les clients ayant acheté les boites afin de les en informer, les enseignes ont analysé les tickets de caisse. Elles ont exploité le fichier de leurs cartes de fidélité, et, pour les autres, elles ont sollicité le GIE Cartes bancaires , de manière à ce que les banques contactent leurs clients pour les avertir.

Les circuits logistiques d’approvisionnement des distributeurs, comme les systèmes d’alerte de leurs magasins semblent également avoir montré leur inefficacité. Le groupe Auchan a précisé que, le 2 janvier dernier, un magasin avait même « reçu une livraison comprenant des références concernées par le rappel du 21 décembre ».

Reconnaissant leur responsabilité dans les défaillances de leur procédure de retrait dans les magasins et la nécessité de tout remettre à plat, certaines enseignes de distribution expliquent que les dysfonctionnements sont la conjonction de plusieurs facteurs : « La période des fêtes, où l’activité est intense sur les produits alimentaires festifs, ce qui n’aide pas à se concentrer sur les laits infantiles, explique un distributeur. Mais aussi les trois demandes de retraits successives qui font qu’au bout d’un moment, on n’y comprend plus rien. »

D’autant que ce distributeur note une « une inflation dans les procédures de retraits et de rappels ». « Sur les quinze derniers jours, il y a eu 15 retraits de produits divers que nous avons envoyés à nos magasins, que ce soit pour une suspicion de présence de bouts de verre dans une crème dessert, ou encore une erreur d’étiquetage sur l’origine d’un produit. Il y a vingt ans, lorsqu’il y avait un rappel c’était quelque chose d’exceptionnel », explique-t-il.

  • Lors d’un rappel de produit, « l’industriel est responsable de sa mise en œuvre »

Interrogée sur ces défaillances, la DGCCRF a rappelé les grands principes de ces opérations. Elle explique que « lors d’une opération de retrait/rappel de produits, menée de manière volontaire ou en application d’une décision du ministre, l’industriel est responsable de sa mise en œuvre. Il lui revient de déterminer les moyens nécessaires pour assurer l’efficacité des opérations (information directe de ses clients, communiqués de presse,…). Tout au long de la chaîne de distribution, chaque maillon est responsable, d’une part, de cesser la commercialisation des produits concernés et, d’autre part, d’informer ses clients de la procédure de retrait/rappel. Le distributeur final a une obligation d’information des consommateurs de l’existence d’une procédure de rappel pour les produits qu’il a déjà commercialisés. »

La DGCCRF vérifie que les mesures mises en place par l’ensemble des acteurs sont effectives. Elle contribue en outre à relayer l’information auprès des consommateurs.