Une boîte aux lettres à Notre-Dame-des-Landes, le 9 janvier. / STEPHANE MAHE/REUTERS

Alors que le dossier de Notre-Dame-des-Landes doit être arbitré dans les jours prochains par le gouvernement, les maires des deux communes les plus concernées livrent au Monde leurs derniers arguments en faveur ou en défaveur d’un nouvel aéroport dans le bocage nantais. Jean-Claude Lemasson, 58 ans, élu en 2008, est maire (sans étiquette) de Saint-Aignan-Grandlieu (3 857 habitants), qui jouxte l’actuelle plateforme aéroportuaire nantaise. Jean-Paul Naud, 59 ans, est élu (sans étiquette) lui aussi depuis 2008, à la tête de la commune de Notre-Dame-des-Landes (2 138 habitants au recensement de 2016).

Le département de Loire-Atlantique a voté en faveur du déménagement de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique vers le bocage à Notre-Dame-des-Landes, par 55,17 % de oui, avec une participation de 51,08 %, le 26 juin 2016. Sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, l’opposition au transfert a recueilli 73,57 % des voix (75 % de participation), tandis qu’à Saint-Aignan-Grandlieu, 71,7 % des votants se sont exprimés pour (65,96 % de participation).

Dans le cas où l’hypothèse de la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes serait retenue, quelle serait votre réaction ? Quelles en seraient les conséquences ?

Jean-Paul Naud : D’abord, la décision du président de la République et du gouvernement sera très difficile à prendre. Mais elle ne pourra pas être contestée. Si Emmanuel Macron venait à retenir le scénario de la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame- des-Landes, je serais bien sûr extrêmement déçu mais je l’accepterais.

Cette décision serait alors un bouleversement pour notre commune et les communes voisines. Sur un plan environnemental, il s’agirait d’une aberration écologique qui verrait disparaître 1 400 hectares d’un bocage préservé formant de surcroît une double tête de bassin versant alimentant une dizaine de ruisseaux. Elle serait ensuite un formidable accélérateur d’étalement urbain au nord de l’agglomération nantaise, dans un département où disparaissent quotidiennement quatre hectares d’espaces agricoles ou naturels.

Jean-Claude Lemasson : Je saluerais une étape importante pour l’avenir du Grand Ouest de la France, un équipement qui devrait permettre d’assurer le développement économique de ce vaste territoire. Pour la commune, il s’agira, dès la levée du Plan d’exposition au bruit (PEB) dépendant de l’activité aéroportuaire de Nantes-Atlantique, d’organiser le développement de l’habitat dans les limites des périmètres d’urbanisation contraints par la loi Littoral de janvier 1982 au regard du lac de Grand Lieu ; ce qui permettra de maintenir les activités en centre-bourg et de faire vivre la commune.

Pour les riverains, cela signifiera d’être libérés des nuisances acoustiques de plus en plus conséquentes du fait de l’accroissement du trafic aérien, tant en décollage qu’en atterrissage, mais aussi des pollutions atmosphériques du fait de la très grande proximité de la piste avec les zones habitées.

Dans l’hypothèse inverse, comment réagiriez-vous ?

J.-P. N. : Je serais extrêmement satisfait de cette décision car ce choix serait l’aboutissement heureux d’un combat que nous menons depuis des années au sein de nos associations opposées à la construction d’un nouvel aéroport. Elle permettrait à l’agglomération nantaise de bénéficier d’un aéroport optimisé sur un site qui pourrait, à moindre coût, être desservi par plusieurs modes de transport, avec un tram à 800 mètres seulement et une voie ferrée existante à proximité. Et elle permettrait à la commune de Notre-Dame-des-Landes de continuer la politique de développement harmonieux et raisonné menée par l’équipe municipale.

J.-C. L. : Cela serait vécu comme une injustice au regard des décisions précédentes. Cela engendrerait la « mort » de la commune à l’horizon 2030 car il ne lui est pas possible d’organiser un plan B. En effet, Saint-Aignan-Grandlieu est situé quasiment dans l’axe de la piste au sud et à 1 200 m de son seuil. Le bourg, qui ne s’est pas développé du fait de la présence de l’aéroport et de ses contraintes, constitue la seule réserve foncière disponible pour de l’habitat au titre de la loi Littoral.

Un PEB se définit en quatre zones de A à D, du plus contraignant au moins contraignant. Actuellement en zone C, le bourg serait couvert partiellement par la zone B. En zone B, seuls les équipements aéroportuaires sont autorisés ; en zone C, aucun nouveau logement n’est autorisé afin de ne pas exposer au bruit davantage de population. Sans possibilité de construire ou de réhabiliter, cela signifie l’extinction progressive des activités du bourg et donc la mort programmée de la commune.

S’agissant de l’évacuation de la zone à défendre (ZAD), pensez-vous qu’il faille agir rapidement ?

J.-P. N. : Si le président optait pour une réhabilitation du site actuel, l’évacuation forcée de la ZAD ne me semblerait pas indispensable. Les agriculteurs expropriés retrouveraient leurs exploitations. D’autres propriétaires également expropriés, pourraient racheter leurs parcelles de terre. Enfin, pour le surplus des parcelles appartenant actuellement à l’Etat, je ne suis pas opposé à des expériences agro-environnementales qui permettraient de pratiquer une agriculture respectueuse du bocage et des espèces protégées qu’il abrite.

J.-C. L. : L’évacuation est nécessaire et sans attendre, l’accompagnement des agriculteurs est indispensable, mais pour être agriculteur l’adhésion à la Mutualité sociale agricole n’est pas suffisante, un modèle économique doit être validé par les instances consulaires. Cet accompagnement doit pouvoir s’organiser hors périmètre de la ZAD comme l’ont déjà préparé quelques exploitants avec la chambre d’agriculture. Près de 600 ha ont été défrichés en métropole nantaise et à proximité et une large partie est libre d’exploitation.

Compte tenu de vos positions respectives, que pensez-vous du traitement de ce dossier, dans l’histoire et par ce gouvernement ?

J.-P. N. : Ce gouvernement s’est donné le temps de la réflexion. Rapidement après les élections, il a installé une médiation qui a mis en évidence qu’il n’existait pas un
seul scénario, à savoir la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, mais qu’il existait une possibilité de réhabilitation et d’optimisation du site. Pour la première fois, il existait une alternative. Ce temps de réflexion sera suivi d’une prise de décision qui sera immédiatement exécutée. Il s’agit, pour ce gouvernement qui a été nommé il y a huit mois, d’une performance pour un dossier qui était resté à l’état de projet pendant un demi-siècle.

J.-C. L. : Je rejoins le point de vue des médiateurs qui ont annoncé « plus jamais cela » : l’Etat doit pouvoir mieux organiser la temporalité de ces décisions. Mais dire que le débat n’a pas eu lieu est un mensonge. Il est regrettable que certains élus, notamment au moment de la présidentielle de 2012, ont fait de ce dossier un engagement militant au profit de leur seule carrière politique en bafouant les règles de la République.

Si la question de l’aéroport s’est posée à nouveau fin 1999, et la déclaration d’utilité publique a pu voir le jour en février 2008 c’est aussi parce que nos prédécesseurs avaient anticipé en « figeant » une zone d’aménagement différée. Il nous faut aujourd’hui organiser ce vaste territoire – plus de 8 millions d’habitants – à l’échelle des enjeux du XXIe siècle avec des infrastructures assurant la mobilité de tous (aérien, ferré, routier, maritime), c’est comme cela que nous travaillons collectivement entre agglomérations, départements et régions.

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Durée : 02:38

Qu’espérez-vous pour l’avenir ?

J.-P. N. : Tous les élus concernés par ce projet ont toujours considéré que l’agglomération nantaise devait bénéficier d’un aéroport international. Le débat portait seulement sur son emplacement. Je ne doute pas que la réhabilitation du site puisse permettre à l’agglomération nantaise de bénéficier, à long terme, d’un tel outil.

J.-C. L. : La protection de la planète et de ses ressources est un enjeu primordial, nous devons tous y contribuer. Mais il ne faut pas tomber dans la caricature, l’humain a aussi toute sa place.