Des Parisiens se rassemblent devant le Bataclan, le 13 novembre 2016, à Paris. / Francois Mori / AP

« Chacun a le droit de critiquer une œuvre, d’être choqué et même scandalisé. En revanche, le rôle d’une télévision publique devrait être de préserver la liberté de créer, de dire, d’exprimer. » Le collectif de réalisateurs de films de télévision Groupe 25 Images déplore, dans un communiqué daté du 10 janvier, la décision de France 2 de retarder le projet de son téléfilm Ce soir-là. Ce dernier, produit par la chaîne et réalisé par Marion Laine (A cœur ouvert), devrait relater une histoire d’amour née le soir de l’attaque du Bataclan, le 13 novembre 2015, avec au casting Sandrine Bonnaire dans le rôle principal, Simon Abkarian (Kaboul Kitchen) et Naidra Ayadi (Paris etc.).

Cette fiction, dont le tournage s’est achevé le 22 décembre 2017 à Paris, avait provoqué une vague de contestation et d’indignation, notamment sur Twitter. Dans leur communiqué, les réalisateurs fustigent le supposé pouvoir des réseaux sociaux, et plus particulièrement la pétition mise en ligne il y a plus d’un mois par Claire Peltier, la femme de David Perchirin, tué lors de l’attaque. « Ne pouvez-vous donc pas trouver d’autres sujets de fiction pour attirer vos téléspectateurs, sans raviver nos douleurs et notre deuil ? », interroge Claire Peltier sur la plateforme Change.org. Adressé à la direction de France 2 et à Delphine Ernotte, le texte appelle au retrait du projet et a recueilli plus de 46 000 signatures.

« Il ne faut pas se taire, il faut en parler »

Le 28 décembre, dans un communiqué, la chaîne publique annonçait devoir « ajourné » le projet, le temps que la production puisse « consulter largement l’ensemble des associations des victimes ». Une décision qui semble donner raison à Claire Peltier. C’est en tout cas le lien qu’établit le Groupe 25 Images. Le collectif pointe du doigt l’influence que « la toile » aurait eu sur la direction de la chaîne, contrainte à l’autocensure. « Depuis ces attentats, tout le monde vit avec ça. Cela fait parti de notre quotidien à tous. Il ne faut pas se taire, il faut en parler », nous a déclaré Arnaud Sélignac, coprésident du Groupe 25 Images. Le réalisateur rappelle le rôle cathartique que peuvent avoir de telles œuvres de fiction, qui permettent, selon lui, de parler de ces drames pour mieux s’en libérer, quitte à heurter les consciences : « On est là pour faire réfléchir, pas pour mettre des œillères », assène-t-il.

Pour France 2, ce débat découle d’une fausse polémique. Le film est toujours en cours de montage et n’a pas encore été visionné par la direction. La chaîne rappelle également qu’aucune date de diffusion n’a jamais été planifiée, contrairement aux rumeurs persistantes sur internet qui évoquaient la date du 13 novembre 2018, soit trois ans après la tragédie. L’équipe du film, quant à elle, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

Des associations ouvertes au dialogue

Si la pétition appelle à l’abandon pur et simple du projet, les associations de victimes, elles, se montrent plus nuancées. Pour Alexis Lebrun, porte-parole de Life for Paris, une association qui compte plus de 700 membres, les réseaux sociaux ne sont pas la cause de l’ajournement du projet. « Ce ne sont pas des juges, ce sont des canaux de diffusion », affirme-t-il. Il note aussi que le principe des pétitions existait bel et bien avant la création de Facebook ou de Twitter.

Même si la majorité des membres de Life for Paris se disent défavorables au projet du téléfilm, l’association se détache de l’initiative de Claire Peltier. « Nous ne sommes pas là pour censurer ou commenter une œuvre, estime Alexis Brun. Ce n’est pas notre rôle, même si l’on doit faire entendre la voix de nos membres. » Une position d’équilibriste délicate à assumer. Sur le principe, l’association ne s’opposera pas à la diffusion du téléfilm, sauf si ce dernier va à l’encontre de la dignité des victimes et de leurs familles. La réalisatrice du téléfilm, Marion Laine, a par ailleurs pris contact en novembre avec l’association et une rencontre devrait avoir lieu prochainement.

Une exception française

Olivier Legrand, président de l’association Génération Bataclan, regrette le fait que des familles de victimes demandent l’arrêt d’un programme qu’elles n’ont pas vu, alimentant une « énième polémique post-attentats ». Des familles qui selon lui n’ont sans doute pas discuté avec la production, et encore moins avec la réalisatrice. « Je pense que ce type de programme, s’il est bien monté et s’il respecte la réalité, est nécessaire », poursuit-il, prenant l’exemple du téléfilm Ne m’abandonne pas, diffusé en 2016 sur France 2, dans le cadre d’une soirée-débat sur la radicalisation islamiste.

Alors que le débat autour de la diffusion de Ce soir-là cristallise les tensions en France, un film sur les attentats du 13 novembre 2015 est déjà en préparation outre-Atlantique, baptisé Violent Delights et réalisé par Rachel Palumbo. Une spécificité hexagonale pour Arnaud Sélignac, qui regrette que la France reste bloquée sur le sujet, alors que dans d’autres pays, les artistes n’hésitent pas à s’emparer de ces événements tragiques qui marquent l’actualité, à l’instar des États-Unis, prolifiques en la matière. Dernier exemple en date : The 15:17 to Paris, un film de Clint Eastwood sur l’attaque déjouée du Thalys qui sortira le 7 février prochain en France.