La Cour constitutionnelle de Turquie a ordonné par 11 voix contre 6, jeudi 11 janvier, la libération de Mehmet Altan et de Sahin Alpay, deux journalistes emprisonnés juste après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016. Elle a estimé que leur détention « violait leurs droits individuels », selon les normes de la Convention européenne des droits de l’homme ratifiée par la Turquie.

Cette décision fait naître l’espoir. Les avocats des prévenus considèrent qu’elle pourrait faire jurisprudence à l’avenir pour des milliers de personnes injustement emprisonnées. « Cet arrêt, le premier du genre depuis la tentative de coup d’Etat, pourrait servir de précédent pour tous les autres procès en cours », a suggéré l’avocat Veysel Ok, qui a introduit le recours de Sahin Alpay.

Mais la joie des familles a été de courte durée. Cinq heures à peine après la décision de la Cour constitutionnelle, deux cours pénales ordinaires d’Istanbul (la 13e et la 26e) ont refusé la remise en liberté des deux hommes. C’est « illégal », a dénoncé le député Sezgin Tanrikulu (opposition kémaliste) sur son compte Twitter. Simple contretemps en attendant la publication de la décision de la Cour constitutionnelle dans le Journal officiel ? Ou résultat d’un coup de fil du « Palais » présidentiel ? Une chose est sûre, le fait que les décisions émanant de la plus haute instance du pays soient ignorées par des juridictions subalternes confirme la perte de légitimité de l’institution judiciaire.

Des fonctionnaires réintégrés

Résultat, les journalistes sont restés derrière les barreaux. Accusés d’« appartenance à une organisation terroriste » et de « tentative de renversement » du gouvernement, les deux intellectuels, âgés respectivement de 65 et 73 ans, avaient déposé des recours auprès de la Cour constitutionnelle juste après leur arrestation à l’été 2016. Or, la plus haute juridiction turque, qui a vu deux de ses juges, Alparslan Altan et Erdal Tercan, écroués après la tentative de coup d’Etat, ne s’était pas réunie depuis 2016.

Le président Recep Tayyip Erdogan est le premier à sonner l’hallali contre les intellectuels. Lors de sa venue à Paris, vendredi 5 janvier, il avait déclaré : « La terreur ne naît pas de rien. La terreur et les terroristes ont des jardiniers, ces gens qui sont vus comme des penseurs. »

A la faveur de l’état d’urgence imposé le 20 juillet 2016 et toujours prolongé depuis, 55 000 personnes ont été arrêtées, sans véritables enquêtes. Au total, 150 000 fonctionnaires, dont plus de 4 000 juges et procureurs, ont été limogés, tandis que 160 journalistes sont en prison. Des centaines d’universitaires ont été cités à comparaître pour avoir signé une pétition pour la paix dans les régions à majorité kurde.

Les autorités turques ont réintégré par décret-loi plus de 1 800 fonctionnaires qui avaient été limogés dans le cadre de ces purges, a rapporté vendredi l’agence de presse officielle Anadolu. Elles avaient été initialement radiées après avoir été accusées d’avoir téléchargé ByLock, une messagerie cryptée qu’Ankara considère comme l’outil de communication privilégié des putschistes. Mais les autorités ont annoncé fin décembre 2017 avoir déterminé que plusieurs milliers de personnes avaient téléchargé l’application en question à leur insu.