L’Hexagone, cimetière des ambitions entrepreneuriales ? Le cliché a la vie dure. Et pourtant, c’est faux, absolument faux, souligne Jérôme Delsol. « Une SAS, en France, on met une semaine à la créer ! » L’entrepreneur de 45 ans, installé dans les Yvelines, est d’autant plus affirmatif qu’il a lancé la sienne en mai 2017.

Sa start-up, baptisée KPI Intelligence, propose des outils d’aide à la décision pour les responsables de plusieurs sites de production. L’antenne francilienne de la Banque publique d’investissement (BPI) et la chambre de commerce et d’industrie de la région Rhône-Alpes ont soutenu le projet. « Même mon associé britannique reconnaît que la réalité est loin des clichés sur l’enfer bureaucratique français », se réjouit le patron.

Comme KPI Intelligence, de nombreuses sociétés ont vu le jour l’an passé. Le cru 2017 a été bon : les créations d’entreprises ont bondi de 6,7 %, selon les chiffres publiés par l’Insee mardi 16 janvier. Une hausse marquée notamment par la reprise des immatriculations de micro-entreprises. Ces dernières progressent ainsi de 8,5 %, pour atteindre 241 786 créations, contre 6,5 % pour les entreprises individuelles classiques et 4,5 % pour les sociétés.

« Filets de sécurité »

Si tous les pans de l’économie sont concernés, le secteur des transports n’est plus le premier contributeur. Chauffeurs de VTC, livreurs et autres coursiers restent nombreux à s’enregistrer auprès des chambres de commerce, mais ce sont désormais les « activités de soutien aux entreprises » qui tirent les créations à la hausse. L’expression recouvre les métiers de conseil pour les affaires, le contrôle de gestion, l’expertise comptable… « Souvent d’anciens salariés devenus indépendants et qui travaillent pour plusieurs employeurs », explique Yannick Hoche, directeur général de l’Agence France Entrepreneur (AFE).

« Aujourd’hui, le salariat n’est plus le modèle absolu de la réussite professionnelle. Surtout chez les jeunes. » Renaud Dutreil, ancien ministre

Cet engouement pour l’entrepreneuriat n’est pas complètement nouveau. Un premier palier avait déjà été franchi en 2003 avec la loi pour l’initiative économique. Mise en place du congé d’un an pour créer son entreprise, maintien des indemnisations pour les demandeurs d’emploi, protection contre la saisie de la résidence principale…

Les mesures portées par l’ancien secrétaire d’Etat aux PME et au commerce Renaud Dutreil avaient libéré les initiatives. « En créant des filets de sécurité, on a compris qu’on pouvait attirer de nouveaux publics vers l’entreprise, notamment les femmes et les habitants des quartiers, se souvient l’ex-ministre. Aujourd’hui, le salariat n’est plus le modèle absolu de la réussite professionnelle. Surtout chez les jeunes. »

L’appel d’air créé en 2009 par l’apparition du statut d’auto-entrepreneur (désormais micro-entrepreneur) a encore accéléré le phénomène : 622 000 entreprises ont été enregistrées en 2010, un record. « Il y a eu un “effet déstockage”, souligne Yannick Hoche. Beaucoup de personnes qui travaillaient plus ou moins au “black” ont régularisé leur situation. » Aujourd’hui encore, le statut a le mérite de la simplicité. Les cotisations sont calculées à partir du chiffre d’affaires brut et payées au forfait par le micro-entrepreneur.

Effets pervers

C’est ce qui a séduit Emilie Bondoerffer, ingénieure agronome de 23 ans installée à Woellenheim, dans le Bas-Rhin. Avant de décrocher son premier emploi, elle a monté un service de prestation destiné aux agriculteurs et bénéficié de l’aide à la création et à la reprise des entreprises qui permet une exonération partielle des charges sociales pendant la première année d’activité. « J’avais un projet que je souhaitais pouvoir affiner en le mettant en pratique », explique-t-elle.

Mais les facilités offertes par ce statut ont aussi des effets pervers. Intéressée par un poste au sein d’une société de rédaction de débats, Nathalie, qui préfère rester anonyme, a été contrainte de créer sa micro-entreprise. « Ils voulaient m’embaucher sans payer de charges, une forme de salariat caché », déplore l’ancienne enseignante. « La vraie question, c’est celles des perspectives qu’ouvre ou non un emploi ubérisé, estime Renaud Dutreil. S’il faut, évidemment, les encadrer, ces métiers permettent à beaucoup de sortir de l’inemploi et sont comme un tremplin vers d’autres activités. »