Arthur et Audrey Kermalvezen à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), le 15 janvier. / BRUNO LEVY POUR "LE MONDE"

Cela faisait plusieurs semaines qu’ils tenaient leurs découvertes secrètes et se demandaient quand ils allaient faire exploser cette bombe. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le lancement des états généraux de la bioéthique, jeudi 18 janvier, les a décidés. Arthur et Audrey Kermalvezen, âgés de 34 et 37 ans, sont mariés et tous deux nés par procréation médicalement assistée avec don de sperme. Depuis des années, ils luttent ensemble contre l’anonymat à vie des donneurs, comme c’est la règle en France. Ils pensent qu’elle ne tiendra plus longtemps. Et en donnent la preuve.

De simples tests génétiques récréatifs, de ceux qui sont offerts en cadeau de Noël aux Etats-Unis pour connaître les origines géographiques de ses ancêtres, ont permis à Arthur de retrouver son géniteur. Audrey a, quant à elle, eu l’assurance que son frère était né du même donneur qu’elle, et s’est découvert un demi-frère et une demi-sœur.

Ils n’ont pas fait ces tests « de gaieté de cœur », car la loi française interdit d’y recourir, mais « en dernier recours ». Elle, juriste spécialisée en droit de la bioéthique et lui, commercial dans l’immobilier, ont été auditionnés ensemble et séparément depuis une dizaine d’années par une ribambelle de ministres de la santé, de la famille, de la justice. Ils ont saisi les tribunaux pour avoir accès à tout ou partie de leurs origines personnelles. En vain. « Nous restons inaudibles et invisibles », constate Arthur.

Un besoin médical et existentiel

Si l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules fait partie des principaux thèmes des états généraux de la bioéthique, l’accès à leurs origines des enfants conçus par don ne figure pas au menu des débats. « Nous ne sommes pas contre la PMA, sinon nous ne serions pas là, dit Audrey. Mais nous pensons qu’elle peut être améliorée et humanisée. » Ils souhaitent le maintien de l’anonymat lors du don, mais la possibilité pour l’enfant de connaître l’identité du donneur à sa majorité. Pour eux, cette quête relève du besoin médical (connaître ses antécédents) mais surtout existentiel.

« Nos pères [non biologiques] sont assurés de l’amour que nous leur portons, dit Audrey. Ce que nous voulons, c’est connaître un visage, savoir qui nous a permis de naître. »

L’« aventure humaine extraordinaire » qu’ils sont en train de vivre commence le 23 septembre. Une dizaine de membres de l’association PMAnonymes (qui en compte 300) ou de proches, tous nés d’un don de gamètes, se réunissent pour procéder à des tests génétiques. Baptisés « ancestry composition », ils ont été achetés 99 dollars (81 €) pièce sur 23andme.com et expédiés par la poste. Pour savoir si vos ancêtres étaient bretons ou africains, il suffit de placer sa salive dans un tube et d’expédier les échantillons à l’entreprise, qui se charge d’identifier les variants génétiques spécifiques à certaines origines.

Mais celle-ci propose aussi, en option, de participer au programme « DNA relatives » (parents ADN). Après décryptage, elle recherche des correspondances entre les génomes de sa base de données, des « matchs ». « A ce moment-là, l’espoir, c’est d’avoir dans dix ou quinze ans un match avec quelqu’un de la famille du donneur et de remonter le fil », explique Arthur.

« En voyant mon demi-frère et ma demi-sœur, je peux m’imaginer mon géniteur. Je me sens plus ancrée. Et en même temps, je suis inquiète. Combien ai-je de demi-frères et demi-sœurs dans la nature ? », Audrey

Finalement, la procédure va être beaucoup plus rapide. Trois semaines après, les résultats arrivent. Stupeur : sur les 10 personnes qui ont effectué le test, quatre sont demi-frères et sœurs, donc nés du même donneur. Audrey et son frère, qui ignoraient avoir été conçus avec les gamètes du même homme, et Sophie et David, deux membres de l’association, également frères et sœurs, dont Audrey est proche.

« Je suis ravie, dit Audrey. En voyant mon demi-frère et ma demi-sœur, je peux m’imaginer mon géniteur. Je me sens plus ancrée. Et en même temps, je suis inquiète. Combien ai-je de demi-frères et demi-sœurs dans la nature ? » La loi interdit la conception de plus de 10 enfants avec les paillettes de sperme d’un même homme. Dans le cas d’Audrey, elle connaissait deux d’entre eux en ignorant leur lien de parenté. « On nous dit qu’il n’y a pas de risque de consanguinité, ce n’est pas vrai », commente-t-elle.

« Bravo de m’avoir retrouvé »

Arthur, de son côté, se découvre un « match » à 6,28 % avec un certain Larry, qui vit en Angleterre. Larry est un « first cousin », cousin germain. Magie des réseaux sociaux, Arthur le retrouve sur LinkedIn, et entre en contact avec lui sur WhatsApp. « Si je matche avec vous, c’est que le donneur est dans votre entourage familial », explique Arthur. Sans lui donner la réponse, Larry ne dément pas, l’encourage à chercher, lui indique la région française d’où une partie de sa famille est originaire. Et lui livre ce faisant la clé de l’énigme. Larry a composé son arbre généalogique, accessible sur le site Internet Ancestry. Un seul homme de la branche française à l’âge compatible avec un don, le petit frère du grand-père de Larry.

Arthur a de la chance : son géniteur ne s’appelle pas Paul Durand ou François Martin. Avec seulement un prénom et un nom, il retrouve son adresse. « Voilà trente ans que je cherchais quelqu’un qui vit à une heure trente en voiture de chez moi », s’exclame-t-il. Contrairement à Audrey qui l’a appris à l’âge de 29 ans, Arthur a toujours connu son mode de conception, et explique avoir attendu cette rencontre depuis son plus jeune âge. Mais il ne veut pas l’importuner, ni lui faire peur. Il rédige une lettre, avec l’aide de ses parents, de sa sœur, et de sa femme. « Je m’appelle Arthur, j’ai 34 ans (…) Depuis toujours je me pose la question, à qui dois-je aussi d’être né ? (…) Cela me permettrait de raconter à mes enfants qui est mon géniteur, de leur expliquer d’où ils viennent. (…) J’ai déjà un père, je n’en cherche pas un autre. J’espère du plus profond de mon cœur que vous serez sensible à ma demande. »

« Il m’a dit qu’on avait l’obstination comme point commun. Et qu’il trouvait très bien que ce que j’ai fait puisse servir aux autres qui cherchent », Arthur

Pour plus de discrétion, Arthur charge des voisins de remettre sa lettre en main propre au donneur, sans témoins. Le 25 décembre, son téléphone sonne. « D’abord, bravo de m’avoir retrouvé, je ne sais pas comment tu as fait, mais bravo », dit la voix. Son géniteur n’a pas choisi le jour au hasard, son appel est un cadeau. Alors Arthur a enfin su où, quand, et « surtout pourquoi » cet homme avait fait ce geste. Donneur de sang régulier, il était sensible à l’idée qu’un couple de parents aide un autre couple à le devenir. Arthur a appris au passage être issu de paillettes congelées pendant dix ans, le don ayant eu lieu dans les années 1970.

« Il m’a dit qu’on avait l’obstination comme point commun, détaille Arthur. Et qu’il trouvait très bien que ce que j’ai fait puisse servir aux autres qui cherchent. » D’autant que le géniteur du jeune homme a appris être porteur d’une maladie génétique rare qu’il pourrait avoir transmise à Arthur et ses enfants, et que ceux-ci doivent donc pratiquer des examens. Pour l’instant, ils ont parlé au téléphone mais ne se sont pas rencontrés. Arthur a seulement vu une photo.