Le stand Kodak au CES de Las Vegas, le 10 janvier. / DAVID MCNEW / AFP

La « blockchain » au service de la photographie ? L’idée peut paraître incongrue. C’est pourtant le pari que font plusieurs entreprises, dont Kodak, qui s’est emparée de cette technologie notamment connue pour faire fonctionner des monnaies numériques, comme le bitcoin. L’ancien spécialiste américain de la photographie a en effet annoncé le 9 janvier le lancement d’une monnaie virtuelle adossée à une plate-forme destinée aux photographes, le KodakCoin, conjointement avec la start-up Wenn Digital. Au passage, l’annonce a fait bondir l’action de Kodak de près de 75 %.

« Grâce à l’utilisation de la technologie “blockchain”, la plate-forme KodakOne va créer un registre de droits de propriétés numériques et chiffrés permettant aux photographes d’enregistrer leur production, nouvelle et ancienne, qu’ils pourront ensuite proposer sous licence », a expliqué l’entreprise dans un communiqué.

La « blockchain » comme certificat d’authenticité

Le principe de la blockchain consiste à sécuriser une transaction en la faisant valider par une multitude d’ordinateurs, de manière chiffrée. Appliquée au bitcoin, la principale crytpomonnaie en circulation, la blockchain est en fait un immense registre qui recense chaque transaction effectuée, sur une multitude d’ordinateurs.

Lors d’une transaction, l’authenticité de l’échange nécessite de solliciter ce registre, ce qui demande une grande capacité de calcul, répartie sur des milliers d’ordinateurs à travers le monde : les « mineurs ». Pour falsifier une transaction, il faudrait intervenir sur la plupart des ordinateurs sur lesquels est inscrit le registre ; ce qui est impossible.

C’est ainsi que la blockchain garantit les échanges des cryptomonnaies, comme le bitcoin ou l’ether. On comprend facilement l’intérêt de la blockchain dans les échanges financiers. Mais cette technologie permet de sécuriser tout type d’interaction. L’association Reconnect propose par exemple de sécuriser ainsi les documents administratifs des sans-domicile-fixe en utilisant la blockchain.

Appliqué à la photographie, le système permet donc de recenser toutes les images mises sur le système, et de les associer à leurs auteurs, sans aucune falsification possible, à la manière d’un certificat d’authenticité.

Adossé à ce nouveau moyen de paiement, Kodak prévoit la création d’une plate-forme de vente d’images, permettant également aux auteurs de surveiller d’éventuelles infractions aux droits d’auteurs. « Pour beaucoup dans le secteur de la technologie, “chaînes de blocs” et “cryptomonnaies” sont des mots à la mode, mais pour les photographes qui peinent depuis longtemps à garder le contrôle sur leur travail et sur la façon dont il est utilisé, ces mots à la mode peuvent être la solution à ce qui semble un problème insoluble », a commenté le président-directeur général du groupe, Jeff Clarke, cité dans le communiqué.

Blockchain et copyright

Mais Kodak n’est pas le premier acteur de la photographie à vouloir utiliser la blockchain. Lancée en juin 2016, la start-up Binded propose aux photographes et aux artistes la possibilité d’associer à chacune de leurs œuvres un certificat d’authenticité, dont l’unicité et la sécurité seraient garanties par la technologie de la blockchain.

Depuis juin 2017, elle offre également d’enregistrer chaque œuvre auprès de l’U. S. Copyright Office Registration, l’organisme gouvernemental américain chargé de garantir aux auteurs la défense de leurs droits.

En France, la start-up Lamark met elle aussi à disposition des outils d’authentification et de suivi de l’utilisation des images. Le système, baptisé Imatag, permet aux auteurs de « marquer » leurs images à l’aide d’un filigrane invisible, qui, associé à l’image, permet de suivre sa présence en ligne, et d’en garantir l’authenticité. Un système auquel a également recours Pixtrakk, un service pour les photographes professionnels et les agences. Mais dans les deux cas, la technologie ne repose par sur la blockchain mais sur la reconnaissance d’image, comme Google Images ou encore TineEye.

La loi reconnaîtra-t-elle la blockchain comme un moyen de certifier l’authenticité quand seront lancées les premières procédures judiciaires ? Si c’est le cas, elle pourra devenir, au même titre que ne l’était le négatif (à l’époque de l’argentique), un moyen de prouver pour un photographe qu’il est l’auteur d’une image. Même si, en France, la loi privilégie un autre critère pour asseoir le droit d’auteur : l’originalité…