Editorial du « Monde ». Pendant des années, la France a fait figure de paradoxe en Europe en matière de natalité. Même si les Français apparaissaient parmi les peuples les plus pessimistes du monde, ils continuaient inexorablement à être – avec les Irlandais – les plus féconds du Vieux Continent. Mais, depuis 2012, on observe un lent, mais régulier, ralentissement de ce dynamisme démographique.

Le taux de fécondité, qui avait largement progressé depuis 2002, est passé sous la barre des deux ­enfants par femme, pour tomber à 1,88 en 2017. Le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les ­décès, avec 164 000 personnes, n’a jamais été aussi faible depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Même si la population française reste légèrement en croissance, ces chiffres doivent nous alerter pour au moins deux raisons. La première est d’ordre économique. Une natalité dynamique est cruciale en termes de solidarité nationale, car le renouvellement des jeunes générations permet de contribuer au financement des retraites des plus âgés. Le ressort psychologique est tout aussi important. Faire des enfants traduit une certaine foi dans l’avenir, qui est un ressort indispensable à un pays pour se projeter sur le long terme.

Si la tendance du déclin de la natalité semble se dessiner, l’interprétation du phénomène est plus compliquée. Le fait que l’âge moyen à la maternité ne cesse de reculer, pour atteindre aujourd’hui 30,6 ans, joue un rôle déterminant. Rallongement des études, entrée compliquée dans la vie active en raison d’un marché de l’emploi peu porteur, décision plus tardive de se mettre en couple sont autant de raisons qui conduisent à faire des enfants au-delà de la trentaine. Face à la demande de plus en plus forte de recours à la procréation médicalement assistée pour des questions d’infertilité liée à l’âge, les gynécologues alertent : il ne faut pas trop attendre, car après 35 ans la fertilité baisse fortement.

Une variable d’ajustement budgétaire

Contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des pays développés, la crise financière n’a pas provoqué en France de baisse immédiate de la fécondité. En revanche, le creusement des déficits a conduit le gouvernement à revoir sa politique familiale pour trouver à tout prix des économies. Sous François Hollande, le plafond du quotient familial a été sensiblement abaissé, les allocations familiales ont été divisées par deux ou par quatre pour les ménages les plus aisés, tandis que la prestation d’accueil du jeune enfant est devenue plus sélective.

Certes, dans le même temps, plusieurs prestations sous conditions de ressources ont été revalorisées. Mais ces changements ont été décidés sans vision d’ensemble ni perspective de long terme sur le plan démographique, fragilisant ainsi l’orientation nataliste, qui avait été prise dès la Libération.

La France s’est longtemps targuée de favoriser l’emploi des femmes grâce à la scola­risation précoce et au développement des modes de garde. Mais, sur ce plan, les engagements des pouvoirs publics n’ont pas été respectés : sur les 275 000 solutions d’accueil pour les jeunes enfants, seulement 50 000 ont été concrétisées.

La politique familiale a trop longtemps servi de variable d’ajustement budgétaire. Il est urgent de lui redonner du sens en adoptant une vision à plus long terme permettant de concilier vie personnelle et vie professionnelle. Sans cela, l’exception française en matière de dynamisme démographie aura définitivement vécu.