Enfin, la poignée de main attendue. Celle qui se tend appartient à Christian Jacob, président du groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblée nationale. Celle qu’il attrape à Eric Ciotti. La scène se passe dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, mardi 16 janvier, peu après 19 heures. Le député des Alpes-Maritimes vient d’être élu questeur de l’institution. Elle aurait pu avoir lieu le 28 juin si le big bang du renouvellement parlementaire et de la recomposition politique n’avait contrarié son dessein.

Cette victoire prend des airs de revanche pour M. Ciotti, qui accède à une fonction peu connue mais centrale, les questeurs ayant la main sur les finances de l’Assemblée. Lui préfère évoquer un « retour au fonctionnement normal des institutions ». En juin, il avait vu le poste lui échapper au profit d’un ancien camarade de banc, le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, avec les voix du groupe La République en marche (LRM). Mardi, au moment de voter pour remplacer M. Solère, les députés de la majorité ont « annulé le péché originel », selon les mots d’une élue LRM. La consigne du groupe a été la suivante : « Votez ce que vous voulez mais faites en sorte qu’Eric Ciotti soit élu ». Une bonne part semble avoir choisi l’abstention : M. Ciotti a été élu par 186 voix pour 303 députés ayant pris part au vote ; 83 ont voté blanc ou nul, 35 pour Ugo Bernalicis (La France insoumise). La fin de six mois de rififi politico-institutionnel.

« Position d’arbitre »

Issus du même parti avant de prendre des voies divergentes, MM. Solère et Ciotti ne sont amis ni dans la vie ni en politique. Le premier est un intime du premier ministre, Edouard Philippe, et se voulait dès le début de la législature « constructif » avec le nouvel exécutif. Le second, à l’aile droite de LR, s’inscrit dans une opposition ferme à Emmanuel Macron et n’a pas voté la confiance au gouvernement. Tous deux siégeaient en juin en des groupes distincts : Les constructifs et LR. La répartition des trois postes de questeurs, comme pour toutes les responsabilités au bureau de l’Assemblée, fait traditionnellement l’objet d’un accord entre groupes parlementaires. L’un de ces postes doit, par convention, revenir à l’opposition. Il était acté qu’il serait pour Eric Ciotti. A la dernière minute, M. Solère avait néanmoins présenté une candidature rivale. Dans un raisonnement spécieux, il invoquait sa légitimité puisque son groupe parlementaire se définissait d’opposition.

La suite s’était jouée dans les mains des parlementaires LRM, transformés en arbitres du match Ciotti-Solère. Méconnaissant les règles du jeu institutionnel, pas mis en garde par le groupe sur ce qui était en train de se jouer, tentés par une forme de dégagisme visant le très droitier Eric Ciotti, les députés de la nouvelle majorité avaient soutenu son adversaire. Leur unanimisme avait déclenché un tollé, les députés LR hurlant au déni de démocratie et décidant de faire la politique de la chaise vide au bureau de l’institution. S’en étaient suivies de longues tractations pour inscrire les usages tacites sur la répartition des postes du bureau dans le règlement de l’Assemblée. La réforme adoptée à la fin de l’automne avait permis une première phase d’apaisement. L’épilogue a été écrit par Thierry Solère lui-même. Après avoir annoncé le 26 novembre qu’il rejoignait LRM, il avait d’abord tenté de rester à son poste avant d’être contraint de démissionner puisqu’il ne pouvait plus prétendre appartenir à l’opposition.

« Cet épisode a été formateur pour tout le monde », note le député LRM Sacha Houlié, premier concerné car il a été vice-président par intérim le temps de la crise. Mardi, il a laissé sa place au centriste Yves Jégo, élu avec 261 voix. « Dans le vote de la majorité en juin il y avait une forme d’expression d’opposition aux usages, mais ces derniers ont leur importance », résume pour sa part Laurianne Rossi, l’une des deux questrices LRM qui travaillera désormais avec M. Ciotti. Ce dernier arrive dans un contexte où ses deux homologues de la majorité, Mme Rossi et Florian Bachelier, s’entendent mal. « Ciotti va se retrouver dans une position d’arbitre désormais », analyse un de ses proches. Quand M. Bachelier s’est trouvé isolé en prônant un régime d’économies à l’Assemblée, le député des Alpes-Maritimes souhaite, lui, « réhabiliter la fonction de parlementaire et donner plus de moyens aux députés ». Une manière de choisir son camp.