Rompant avec le silence qu’il observe depuis le début de la crise du lait infantile contaminé de Lactalis, le représentant syndical Thierry Peschard, délégué Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) de Lactalis, assure dans un entretien au Monde avoir eu « la confirmation par le groupe Lactalis que l’usine de Craon [allait] redémarrer », mais précise qu’« il n’y a pas de date à l’heure actuelle ».

Dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte le 22 décembre, notamment pour « tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine », des enquêteurs ont mené des perquisitions, mercredi 17 janvier, au siège social de Lactalis, à Laval, et dans l’usine de Craon, en Mayenne, d’où sont sortis les lots de lait contaminé à la salmonelle. Trente-sept bébés ont été touchés en France après avoir consommé un produit infecté du grand groupe laitier, selon le dernier bilan.

Comment réagissez-vous aux perquisitions menées sur différents sites de Lactalis ?

Thierry Peschard. Je ne suis pas surpris, c’est la suite logique de la plainte déposée par les parents.

Y a-t-il eu, de la part des salariés, des manquements qui pourraient expliquer l’origine de la contamination ?

Pour l’heure nous n’en savons rien. Une enquête est en cours. Mais il y a un grand sentiment de frustration, car la qualité et l’hygiène sont au cœur de notre métier. Or, des anciens salariés ont témoigné, sur France 2 et à visage couvert, qu’il y avait un problème d’hygiène. Cela nous surprend. J’ai visité le site plusieurs fois, et toutes les précautions étaient prises.

Quel est le sort des salariés de l’usine Lactalis à Craon ?

L’usine est complètement arrêtée depuis le 4 décembre. Des négociations entre les partenaires sociaux et Lactalis ont permis d’obtenir un chômage technique pour 250 d’entre eux, sans qu’ils perdent leur salaire, y compris leur treizième mois. Ce chômage technique a été négocié jusqu’au 4 février. Les négociations vont continuer.

Nous avons aussi obtenu un accompagnement pour les 70 à 80 salariés acceptant de faire des missions à l’extérieur sur d’autres sites du groupe, sans que le temps de trajet ne dépasse une heure, et avec indemnisation des frais de transport. Si le temps de déplacement est supérieur à une heure, on fait en sorte que les gens soient logés sur place. Dans les deux cas, les salariés touchent une prime pouvant aller jusqu’à 100 euros.

Les autres salariés sont restés sur le site de Craon pour le nettoyer et le désinfecter. On travaille pour comprendre ce qui s’est passé. L’usine restera arrêtée tant que nous ne sommes pas sûrs à 100 % que tout est sain.

Les salariés redoutent une fermeture du site de Craon. Avez-vous eu des informations à ce sujet ?

Il y a en effet beaucoup d’interrogations sur la reprise du site. J’ai eu la confirmation par le groupe Lactalis que l’usine va redémarrer, mais il n’y a pas de date à l’heure actuelle. Celui qui peut donner l’autorisation, c’est l’Etat.

L’usine est cruciale pour les emplois locaux. Comment les salariés traversent-ils la crise qui secoue le groupe aujourd’hui ?

Cela ne fait jamais plaisir de voir son entreprise malmenée comme ça. Quelque 15 000 personnes travaillent pour Lactalis en France. Les salariés sont attachés au groupe, et n’ont pas envie de le mettre en danger.

Aujourd’hui, cela se joue entre [le PDG du groupe] Emmanuel Besnier et [le ministre de l’économie] Bruno Le Maire. Beaucoup de choses nous échappent. On entend beaucoup parler de Lactalis, mais on ne peut pas communiquer sur ce qu’on ne maîtrise pas.

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Le PDG du groupe, Emmanuel Besnier, a longtemps gardé le silence alors que la crise prenait de l’ampleur. Le regrettez-vous ?

Personnellement, je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai eu d’autres interlocuteurs, qui s’expriment en son nom, comme les directeurs industriels, le comité de groupe et la commission sociale. Cela ne me dérange pas.

Emmanuel Besnier s’est adressé aux salariés à travers des courriers. Il ne l’a pas fait directement, car ce n’est pas dans le style de la maison. Ce qui m’importe, c’est la pérennité des emplois, des investissements et des embauches.

Et de votre côté, pourquoi avoir refusé de répondre à la presse jusqu’à présent ?

Tant qu’on n’a pas de certitudes, quel intérêt à le faire ? Pour dire quoi ? Si c’est pour que cela se retourne contre nous, cela ne sert à rien ! On parle quand les choses sont claires. Et puis, on ne voit pas tous les jours les médias, donc ce n’était pas évident pour les salariés du site.

Vous êtes suspecté d’être du côté de la direction…

On a négocié le chômage technique, on n’a pas à en rougir. Il y a une vie sociale chez Lactalis. On se fait une fausse idée du groupe, où règne soi-disant l’omerta.

Quelles sont les prochaines échéances ?

On veut connaître la date de réouverture des ateliers. On a un comité d’entreprise dans la semaine. On aura plus d’informations à ce moment-là.